26 juil. 2018

" Station Eleven "   de Emily St.John Mandel   17/20

      Dans un monde où la civilisation s'est effondrée, suite à une pandémie foudroyante, une troupe itinérante de comédiens et de musiciens vont se produire d'îlot en îlot peuplés de survivants. Telle une poignée de graines de culture essayant d'apporter un peu de nourriture spirituelle et d'espoir au maigre reliquat humain du monde, car, comme le dit la phrase tatouée sur le bras de Kirsten, l'une des comédiennes : Survivre ne suffit pas.

      Ce livre, par son angle de vue décalée, s'avère être un objet littéraire difficile à cataloguer. A première vue, on songe à un roman classique de science-fiction sur le thème récurrent de la fin du monde, avec : une pandémie fulgurante, des files de voitures abandonnées à la sortie des villes avec des cadavres à l'intérieur, des cités fantômes paraissant figées dans le temps et des groupes de survivants errant sur les routes à la recherche de nourriture. Tout ceci nous faisant penser à la série télévisée The Walking Dead, centrée essentiellement sur la survie en milieu post-apocalyptique. Station Eleven est plus malin, il garde en toile de fond le fléau grippal décimant l'humanité, cependant, le récit s'oriente sur plusieurs dizaines d'années avant et après la catastrophe, mêlant et entremêlant la destinée de protagonistes dont l’existence fut liée de près ou de loin à un célèbre acteur décédé d'un infarctus sur scène, peu de temps avant le début de la pandémie.

      Station Eleven est avant tout un livre sur l'insoupçonnable fragilité de notre monde. Celui-ci pouvant se faire bousculer sévèrement par un simple virus. Si peu de choses suffisent à nous renvoyer à un âge post-industriel, pire encore, puisque aucun ordre, aucune loi n'est plus en vigueur, chacun agissant alors suivant ses convictions, qu'elles soient liberticides ou altruistes.

      Bien que l'action se situe 20 ans après la catastrophe, certains gardent toujours en mémoire l'époque d'avant, celle où la civilisation brillait par sa technologie, où joindre n'importe qui par téléphone ou mail semblait un geste facile, où la médecine vous soignait de presque tout, où tous les magasins regorgeaient de produits alimentaires et futiles. Aujourd'hui, plus d'électricité, plus de carburant, plus aucune communication, rien que le néant à perte de vue. Comment survivre avec de tels souvenirs ? Clark, un nostalgique du monde d'avant, décide de bâtir un musée de la Civilisation en collectionnant tous ces objets devenus caduques. 
      Les dangers d'une telle vie résident aussi dans l'apparition délétère de tous ces prophètes de pacotilles (pléonasme ?), surgissant du terreau de la détresse humaine. Ces illuminés, ces perfides, déchiffrent dans l'apocalypse une punition de Dieu, et, sous le prétexte fallacieux d'apporter la lumière aux survivants, abusent de leur crédulité.

      En décryptant ce roman, j'y dénote une sorte de traité philosophique sur la condition humaine, sur notre manque absolu de prise de conscience de l'empreinte que nous laissons tous, sur la définition première de la mémoire et sur la force indélébile de l'art. Et puis... mine de rien, en considérant la précarité de l'homme et la force tranquille de la nature, la Terre ne pourrait-elle pas se lire comme un manuscrit dont l'histoire peut être à tout moment remaniée, sous le moindre effet papillon, tel un palimpseste ?

      Station Eleven est un roman qui redéfinit les priorités, qui remet l'homme à sa juste place en ouvrant la réflexion sur une grande inconnue : nous-mêmes.


20 juil. 2018





HAÏKU   Partie LXXXXIV

°°°°°°°°°

implorant
ce regard au ciel
tant d'amour à partager


en pleine crise écologique
le monde entier
a les yeux sur un ballon


sous les falaises
deux touristes bavards
ignorent le grandiose


la nature attend
la disparition de l'homme
pour vivre tranquille


les bras au ciel
espérance d'une liberté
si bafouée ici-bas



L'immaculé hydrangéa
































19 juil. 2018



HAÏKU   Partie LXXXXIII

°°°°°°°°°

canicule de juillet
sur les épis d'or
les caresses du vent


l'été les habille
très très chaudement
les australiennes


petit matin d'été
fuyant mon approche
le cul blanc d'un lapin


grand ciel d'été
sans le moindre nuage
quelle tristesse !


d'une touffe d'herbe
envol de fourmis ailées
la nature essaime



7 juil. 2018

" Le complot contre l'Amérique "   de Philip Roth   17/20

      Lorsqu'aux présidentielles américaines de 1940, Charles Lindbergh battit Franklin Roosevelt, une peur atavique réapparut dans le coeur des juifs américains. Cette peur ancestrale se mua en terreur quand le trente-troisième président des Etats-Unis signa un pacte de non-agression avec Hitler, doublé de reproches adressés aux juifs, insinuant qu'ils voulaient embarquer le pays dans une guerre contre l'Allemagne nazie.

      Philip Roth, par le truchement du regard d'un enfant juif de 7 ans - qui n'est autre que lui-même - nous embarque dans un univers délétère où, une idéologie totalitaire se met petit à petit en place dans une indifférence quasi générale.

       Avec ce roman de politique-fiction, Philip Roth trouble son lecteur avec une efficacité redoutable. En effet, construit à partir d'éléments issus de documents authentiques si nombreux, on finit par ne plus savoir où s'arrête la réalité et où commence la fiction. Car, même le discours antisémite prononcé par Lindbergh en 1941 est réel, sans parler de sa remise, par le maréchal Goering sur ordre du Führer, d'une décoration honorifique pour services rendus au Reich en octobre 1938, ni de sa présence aux jeux olympiques de Berlin. Grâce aux archives américaines, enrichies de ses propres souvenirs d'enfance, Philip Roth, nous dresse le portrait d'une Amérique pusillanime, plus soucieuse d'assurer sa paix et sa sécurité, que de s'indigner, au nom de principe universel du respect des droits de l'Homme, face à une idéologie mortifère.

    Après l'électrochoc de l’élection de Charles Lindbergh et sa politique de déracinement, visant à disséminer les juifs américains dans tout le pays, tout comme l'ensemble des Etats-Unis, la famille Roth va se morceler en clans opposés. Rien ne pourra éviter les tensions, puis les déchirements entre chacun de ses membres, notamment avec Sandy le fils aîné séduit par un apprentissage estival en plein air, à l’exemple des jeunesses hitlériennes, censé le muer en modèle du bon américain. Le père, peut-être même plus américain que juif, si combatif au début, se verra réduit à l'impuissance par la force malfaisante des discours de Lindbergh, puis par l'apathie de la société américaine, si individualiste et si ostracisante... comme tant d'autres... d'hier, d’aujourd’hui et... de demain.

      Une fois de plus, Philip Roth séduit par son écriture gourmande et passionnée, multipliant les digressions pour mieux appuyer sur les maux de l'humanité. Un grand écrivain sans aucun doute.

     Dans cette uchronie, loin d'être aussi fantaisiste que cela, Philip Roth nous donne à penser avec une singulière audace et une rare intelligence à la condition juive, condamnée à n'être de nulle part.



1 juil. 2018




HAÏKU   Partie LXXXXII

°°°°°°°°°

vingt et un juin
portée disparue
la nuit


sur les pissenlits
dispersant la vie
le souffle chaud du vent


soleil au zénith
seule ombre au tableau
pas d'ombre...  justement !


mille pétales dans l'allée
à quoi bon les balayer ?
le vent s'en chargera


à l'ombre du châtaignier
urgence
à ne rien faire