29 déc. 2018

" Quand sort la recluse "   de Fred Vargas   17/20

      Quand une araignée très peureuse et quasi inoffensive se met à tuer trois hommes âgés, l'instinct du commissaire Adamsberg sonne l'alarme ; il y a anguille sous roche, à défaut d'araignée. La demoiselle arachnide mise en accusation se nomme la recluse, ou si vous préférez son nom latin Loxosceles rufescens, c'est une espèce vivant dans le Sud-Est de la France, et qui, comme son nom l'indique passe son temps cachée. 

      Après une mise en bouche aux allures " sherlockholmesque ", Fred Vargas démarre une intrigue qui n'en finit pas de se dérouler, accumulant avec un effroyable délice une nuée de fausses pistes. Une fois de plus, ne compter pas sur moi pour vous en dévoiler plus ; sans surprise, moins de désir de lire un Vargas. Malgré tout, j’appuierais sur une interrogation légitime du livre : une vengeance peut-elle ne pas être totalement condamnable ?

      Une grande partie du sel de ce roman ou rompol - polar dont la narration est empreinte d'humour, de liberté et de poésie - vient du savoir-faire de l'auteure, habile à mettre à nue certains mots, à les déshabiller, à les dépouiller de toutes leurs facettes, à les extirper de leurs antres, parfois ancestraux, afin d'en extraire tout le suc littéraire qu'ils peuvent suinter et augmenter ainsi la qualité du texte. Exemple : étoc, blaps, martin-pêcheur... et bien sûr recluse. Ces mots-refrain resurgissent plus loin, au désir de l'auteure, avec un sens bien différent et donc une optique troublante, comme écrire un roman avec peu de mots, mais dont tous auraient une pléiade de sens résonnant, oscillant, vibrant au fil de l'araignée... euh ! du récit.

      Nonobstant cette folle danse des mots, le plaisir est grand de retrouver le commissaire, dont la manière de pensée témoigne d'une singularité qui fait tout son charme, loin de tout cartésianisme. En effet, la logique ondoyante d'Adamsberg doit tout au ballet de boules gazeuses baguenaudant dans son cerveau. De plus, il possède l'art de faire accoucher les esprits en poussant au plus loin l’effort d'une réflexion engloutie, oubliée, mais toujours là, attendant l'heure de la sortie ; pour le dire très simplement, il pratique la maïeutique !!!

      Chaque roman de Fred Vargas swingue entre incantation ésotérique et recherche de sens, son style reconnaissable peut décontenancer, cependant, dans notre monde à la froide verticalité, il peut être doux de s'allonger, et de se laisser bercer au fil du courant des mots, pour un vrai voyage fait de mystères et de légendes.

      Certes, il peut-être aisé d'avoir la juste intuition du coupable, comme je l'ai eu, mais l'essentiel est-il là ? Un Vargas est tellement autre chose, comme une appétissante pâtisserie qui révèle une saveur capiteuse à chaque bouchée.

     Bon cru de la cuvée Vargas, plein de fantaisies, de connaissances zoologiques, de psychologie, de fantômes réveillés, de sémantique, qui à l'instar des bulles gazeuses d'Adamsberg, pétillent tel un champagne. A déguster sans la moindre modération !



28 déc. 2018



HAIKU   Partie   CIX

°°°°°°°°°

vivre sous un lampadaire
pauvre arbre
ignorant de la nuit


impossibilité de courir
l'arbre s'en fou
au galop vers le ciel


arbres des villes
arbres des champs
entre paradis et enfer


les pieds dans le béton
sans la possibilité
de se détendre les racines


sur le châtaignier
encore trois feuilles
décompte avant l'hiver


Bûches en pagaille !


 























A bientôt !

17 déc. 2018

" Le meilleur des mondes "   de Aldous Huxley   17/20


      An 2500, sur la terre la société s'est métamorphosée. Désormais la quasi totalité du monde n'est plus que science et technologie ; la liberté de penser et d'agir fait partie du passé. Les êtres humains naissent in vitro ; les sentiments et les émotions sont remplacés par des désirs et des sensations programmés depuis la naissance. 
    De forme pyramidale, toute la société est hiérarchisée en cinq castes. Les bébés de chacun des niveaux subissent d'abord des manipulations chimiques, puis, pendant le sommeil de leur enfance, un message auditif passé en boucle leur structure le cerveau. Ainsi, chacun d'eux aura un niveau intellectuel nécessaire pour accepter et même se réjouir de sa propre vie. Chaque individu, pareillement soumis, possédera en lui toutes les réponses - pré-fabriquées - à tous les problèmes qu'il rencontrera le long de sa vie. Ainsi, la société peut dormir tranquille avec tous ses êtres bien dociles, ayant toujours un esprit positif et ravis de consommer. Dès lors, plus de risque de voir le moindre contestataire venir glisser un grain de sable dans cette machine sociétale si bien huilée. Si malgré tout, une douleur quelconque se profile à l'horizon, l'état distribue du SOMA, une drogue douce qui permet d'enjamber la plus légère contrariété, la belle vie quoi, le paradis sur terre... enfin !
      Cependant, un beau jour, John, un homme né d'un père et d'une mère - autrement dit un sauvage - épris de liberté, vient semer la zizanie dans cette organisation modèle...

      Ce roman culte de la littérature de science-fiction a été écrit en 1931 ; il dénote une incroyable faculté visionnaire. Jonglant entre utopie et dystopie, il pose clairement la question fondamentale de la liberté. Vaut-il mieux vivre dans l'indécision d'un présent incertain et d'un avenir hypothétique plutôt que dans un monde entièrement déterminé et outrageusement conditionné ? Dit autrement : Doit-on vivre avec la maladie, le chômage, l'angoisse du lendemain, le vieillissement, la dépression, la famine, la guerre, les cracks boursiers, la misère et cetera, ou choisir un monde de paix où le bonheur ruisselle sur toutes les classes sociales, chacun étant heureux d'être là où il est, ne désirant jamais que ce qu'il peut obtenir ? En un mot : doit-on préférer un monde de sentiments et d'émotions, plutôt qu'un monde de désirs et de sensations programmées ?
      Après réflexion, le choix est-il si simple ? Quand on connaît les effroyables douleurs par lesquelles passe, ou est passé, ou passera une bonne partie de l’humanité, la réponse à ce dilemme n'a rien d'évident. Naturellement, il peut paraître incontestable de choisir la liberté, mais pour en faire quoi ? A regarder autour de soi, beaucoup de personnes n'ont même pas conscience de ce qu'est le libre arbitre ou le moindre esprit critique ; elles vont là où notre système consumériste veut qu'elles aillent, comme des moutons de Panurge ; la réflexion ne fait pas partie de leur attribution, dès lors, elles vivent déjà dans un monde à la Huxley sans le savoir, de plus elles cumulent les désavantages de la première option, double peine.
      Cependant, le bonheur, ce concept insaisissable, peut-il être réellement fabriqué artificiellement, n'a-t-il pas besoin d'effort, de difficultés à vaincre pour avoir une existence réelle ? 

      Aldous Huxley, dès 1931, paraît doué d'une puissante lucidité, notamment avec cette notion d'eugénisme qui renvoie directement à l'apparition du nazisme et sa volonté de créer la race parfaite. Sa dénonciation du communisme trouve sa place dans le nom des protagonistes ; en effet, ce n'est pas un hasard si certain s'appelle Lénina, Bernard Marx, sans parler du procédé Bokanovsky ou de la salle de conditionnement néo-pavlovien. Par l'intermédiaire d’incessantes références au créateur de ce monde, un certain Ford, Aldous Huxley, révoque la fabrication et la consommation de masse. Toutes ces déviances n'ont-elles pas le même dessein ? La prédominance d'une élite totalitariste qui maîtrise l'organisation de la structure de la société au détriment d'une réelle et si dangereuse liberté individuelle. En 1931, l'auteur avait en ligne de mire : l'Allemagne, l'Italie, l'URSS et le Japon, mais aujourd'hui, à l'heure où partout dans le monde des gouvernements extrémistes arrivent aux portes du pouvoir, quand ce n'est pas au pouvoir même, ce roman semble toujours d'une cruelle actualité... et malheureusement le sera toujours.

      Le seul et vrai protagoniste du roman n'est-il pas ce John le Sauvage ? Cet homme atypique, puisque né par les voies naturelles, qui cherche vainement à convertir les autres du bienfait de la liberté, cette liberté qui est plus importante que leur confort immédiat. Mais personne ne veut de son message, même Lénina, qui ne le laisse pas indifférent, finira par le quitter. Lors de sa discussion avec l'Administrateur - le meilleur passage du roman - il déploie toute une panoplie d'arguments s'échouant un à un face à la rationalité et à la froideur du propos du dirigeant.

      Certes, Aldous Huxley nous décrit un monde autoritaire, cependant, ce qui glace le plus dans ce monde de sciences et de technologie, c'est qu'il naît de l'émanation de la volonté du peuple ; l'homme, comme le seul responsable de sa condition.


Un certain Monsieur Chase !








Petit cadeau du nom de Number cake !




16 déc. 2018


HAÏKU   Partie   CVIII

°°°°°°°°°

COP après COP
impuissance de l'homme
bientôt roi sans royaume


fumée des usines
en plein jour
le soleil devient lune


l'homme moderne
si obnubilé par aujourd'hui
néglige demain


l'oiseau mazouté
dans une dernière danse
- requiem


démographie galopante
plus d'hommes plus de déchets
nouba chez les rats



8 déc. 2018

" Bel ami "   de Guy de Maupassant   19/20


      Fils de paysans de Canteleu, Georges Duroy est dévoré par l'ambition de s'extraire de sa modeste condition sociale. Suite à une rencontre fortuite avec Forestier, un ancien collègue militaire reconverti en chroniqueur politique dans le journal La vie Française, il profite de cette aide providentielle pour amorcer une ascension, digne de sa folle appétence, qui le conduira aux portes du pouvoir. Jusqu'où un homme est-il prêt à agir pour conquérir une identité conforme à ses rêves les plus mégalomanes ?

      L'argent est le maître mot de ce roman, l'argent qui engendre l'élévation sociale, l'argent qui appelle l'argent, l'argent qui offre le pouvoir. D'ailleurs, dès l'incipit Georges Duroy et l'argent sont là, comme un refrain qui résonnera tout du long, avant une apothéose finale où le tout Paris viendra nombreux, lors de son mariage en grande pompe à la Madeleine, admirer, si ce n'est envier sa réussite. Comme il n'a ni génie, ni talent, il ne devra sa réussite qu'à son charme naturel de bellâtre, à sa faconde, à l'ineffable suavité de son regard attirant celui des féminins, peu importe l'âge de la demoiselle, de la jeune femme ou de la femme mûre. Toute la gente féminine est une proie potentielle pour ce personnage avide de conquêtes. Cependant, Georges Duroy est d'une intelligence rare, ces alliances féminines sont uniquement motivées par le gain qu'il peut en escompter. Rusant tel un joueur d'échecs sur l'échiquier de la vie et de l'amour, il fomente des coups machiavéliques dignes du plus grand respect, si ce n'était le cynisme outrancier qu'il déploie.
      En effet, ce roman dénonce, sous le couvert d'une ironie cruelle et sarcastique, les rouages de la collusion entre le pouvoir politique et l’influence du monde journalistique, les uns aidant les autres et réciproquement. Un vrai monde de requin, où la moindre faiblesse est signe de perdition, de déchéance, seuls les plus immoraux, les plus canailles, les plus vicieux pourront se hausser sur l'autel de l'imposture. Un roman indémodable.

      Malgré toutes ses feintes, ses tromperies, ses faux-semblants, ses mystifications, le coeur de Duroy ne battra véritablement que pour une seule chose, un seul amour : celui d'une femme, celle qui le fera incessamment vibrer : Madame de Marelle, son unique et pur amour. Comme-ci, dans le coeur d'un homme vouant tout à son propre dessein, rejetant tout ce qui lui a permis de franchir les échelons du prestige, une lueur, une sincérité pouvait coexister avec sa noirceur d'âme.

      La plume fluide de Maupassant excelle à décrire la rage dans la personnalité de Duroy, cette sourde colère née de l'envie de gravir tous les échelons vers la gloire et de connaître enfin la respectabilité que donne l'argent. C'est d'ailleurs par cette même fierté arriviste que Georges Duroy, au seuil de sa nouvelle vie, modifie son nom bien banal en un nom digne d'un tout autre statut appelant le respect : Georges du Roy de Cantel (pour Canteleu). Tout est dit !

      Avec maestria, Maupassant dresse le portrait d'une haute société fiévreuse et médiocre où s'allie un triptyque bien pitoyable : hypocrisie, duperie et absence de scrupules ; chacun soignant ses propres intérêts avant de songer, un tant soit peu, à la nation. Tableau bien pessimiste d'une société nécrosée, mais n'est-ce point une sorte de pléonasme, comme une pandémie à jamais nichée au coeur de toutes nos sociétés ?   Du très grand Maupassant !

Pâtisseries hétéroclites !




























A très vite !