20 janv. 2019

" Le portrait de Dorian Gray "   de Oscar Wilde   14/20




      Est-il  nécessaire de résumer ce grand classique de la littérature anglaise ? Peut-être... pour les plus jeunes !
      Le jour où Dorian Gray, jeune homme de 17 ans, se fait peindre le portrait en pied par son ami Basil Hallward, il tombe littéralement en admiration devant la beauté de l'oeuvre réalisée. Sous l'imparable influence perverse de l'ami du peintre, Lord Henry Wotton, Dorian fait le voeu que le tableau vieillisse à sa place afin de garder tout l'éclat et la fraîcheur de sa jeunesse. Bien mal lui en prit, car par un fait inexplicable, le tableau se modifie au fur et à mesure des actes déloyaux et sournois qu'il commet ; telle une belle âme qui se corrompt peu à peu sous les perfidies de la vie de Dorian Gray.

      L'histoire a de grandes allures faustiennes, en effet, comment ne pas voir en la personne de Lord Henry Wotton : le diable lui-même. Par sa faconde, par son cynisme, par son immoralité, Lord Henry pervertit la pureté d'âme de Dorian. Son influence néfaste rebondit à chaque page, tel un leitmotiv obstiné, profitant de chaque nouvelle rencontre pour émettre de nouvelles théories spécieuses et empoisonnées. Dès le chapitre premier, l'inéluctable déchéance suinte, elle planera tout du long, telle une épée de Damoclès. Le dernier chapitre bouclera la boucle en restituant une sorte de pureté originelle, une paix enfin recouvrée. Mais à quel prix ? Combien de personnes auront eu à en souffrir jusqu'à leur anéantissement irrémé-diable ?

      En lisant entre les lignes, l'homosexualité et la bisexualité affleurent, pas bien étonnant quand on connaît la personnalité d'Oscar Wilde, néanmoins il fallait un certain courage à l'époque, dans la société victorienne, pour évoquer, même en filigrane, ce qui était considéré comme une perversion.

      Certains passages sont d'un accès complexe : outre la densité du propos fait d'entrelacs entre esthétique et éthique, des considérations, à la limite de l'abscons, nagent ouvertement dans des eaux philosophiques ; la relecture s'avère donc parfois utile, si ce n'est nécessaire. De quoi faire faire demi-tour à bon nombre de lecteurs ! De plus, même si le style marque une époque, l'écriture s’avère assez pompeuse, ampoulée et grandiloquente ; tel le onzième chapitre où Monsieur Wilde s'amuse à en faire des tonnes pour évoquer pêle-mêle : la course aux sensations par la psychologie des parfums, les pierres précieuses, les instruments de musique primitifs ; les doctrines matérialistes du darwinisme allemand ; les mystères de l’alchimie ; toutes sortes de pierreries aux singulières particularités ; un roman de Lodge... que sais-je encore, donnant l'impression d'un déballage d'érudition virant à l'autosatisfaction. A deux pas du narcissique Dorian Gray... il n'y a pas de hasard : Dorian Gray c'est lui : Oscar Wilde ! Ou devrait-on dire Dorian Wilde ? Ou Oscar Gray ?
      A noter également cette affirmation dite par Lord Henry Wotton : Je suis certain que les femmes apprécient la cruauté, la vraie cruauté, plus que n'importe quoi, résonne effroyablement après l'affaire Wienstein et le mouvement Me Too.

      Néanmoins, ce roman vaut par la profondeur du propos : traiter du rôle des influences dans le destin d'un homme... tout un programme ! Et en corollaire, amène de légitimes interrogations :  Jusqu'où est-on prêt à se compromettre pour conserver cette chose si fragile et si éphémère qu'est la beauté de la jeunesse ? Peut-on agir de façon égoïste indéfiniment sans que notre conscience nous rappelle à son bon souvenir ? La beauté n'appartient-elle qu'à l’art ? Toute rédemption peut-elle être sincère ?

      Ce roman est un véritable festival d'aphorismes, en voici juste deux pour l'exemple : Le seul moyen de se débarrasser d'une tentation est d'y céder. Aujourd'hui, chacun sait le prix de toutes choses, et nul ne connaît la valeur de quoi que ce soit.

      Nonobstant tout cela, Le portrait de Dorian Gray est un exercice de style poussé à bout, tout y est en excès, tout déborde d'un trop plein, tel un déferlement de mots, si ce n'est un tsunami littéraire !



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