Avec le succès grandissant des romans de Bernard Werber, devant l'insistance sourde de ma fille et la réminiscence de vagues souvenirs de jeunesse autour d'une fourmi explorant le monde, j'ai laissé tomber mes lectures habituelles disons... plus académiques, plus en accord avec ma cinquantaine, pour vivre une expérience, comme chaque lecteur devrait en vivre, afin de sortir de sa tour d'ivoire, au confort relatif, pour s'immerger dans un univers de lecture atypique et décalé.
Avant toutes choses, loin de moi l'idée caricaturale de dire qu'il y a deux sortes de livres, les bons et les mauvais. Chacun prend son plaisir là où il peut et là où il veut. Seulement, si je veux jouer l'expérience dans son entièreté, je me dois d'être sincère dans ma critique, qui bien sûr, ne concerne que moi. Libre à vous de venir ferrailler contre mon avis, au contraire même, je vous y invite expressément.
De nos jours, à Montmartre, vivent deux chats exceptionnels. Bastet, la narratrice, est obnubilée par le rêve de rentrer en communication avec les autres espèces animales, puis, de pouvoir enfin discuter avec les humains, afin de mieux les comprendre. Pythagore, lui, est un chat siamois de laboratoire, au sommet de son crane trône un appareillage avec une clé USB lui permettant de se connecter à internet, il appelle cela : son troisième oeil. Au fur et à mesure que Pythagore va donner à Bastet une instruction, le monde autour d'eux va se désagréger jusqu'à plonger dans un néant apocalyptique.
D'emblée, je suis agacé par la faible qualité littéraire du livre : des phrases simples, sans relief, qui deviennent vite pénibles à lire. Cependant, est-on là pour s’extasier de la tournure des phrases ? Assurément non ! L'essentiel est ailleurs. Il est clair que Bernard Werber draine un public essentiellement jeune, tournant autour des 14/30 ans, rien à voir avec le vieux lecteur exigeant et poussiéreux que je suis devenu.
Ensuite, j'ai été abasourdi par un anthropomorphisme poussé au maximum, si exagéré qu'il n'y a aucune différence psychologique et comportementale entre un homme et un félin. Tout le caractère humain est partagé à la virgule près par le monde des chats, y compris pour les scènes de coït ! J'ai bien compris l'effet miroir, l'homme qui se regarde lui même, mais l'exercice a ses limites. Un peu de nuances quand même !
De surcroît et dans la même veine : dit-on vraiment accoucher en parlant d'une chatte qui met bas, parle-t-on alors de ses enfants et non de ses petits ou de ses chatons ? Pour une lecture plaisante, fluide et ample, j'ai besoin du mot juste.
Là où le récit prend une autre dimension, c'est avec l'arrivée du chat siamois nommé Pythagore, son savoir incommensurable apporte enfin un vrai attrait et inocule au récit des perspectives originales. Si Bernard Werber possède une qualité, c'est d'avoir une imagination débridée sinon endiablée, il n'a pas d'égal pour inventer des histoires abracadabrantesques, étirant une idée jusqu'à être allé au bout de l'extension. L'essentiel étant qu'à la fin, à l'instar du chat, de retomber sur ses pattes ! Malheureusement, la chute est plutôt aléatoire, d'ailleurs il n'y en a pas vraiment.
L'incrédibilité ultime venant d'une France en guerre totale, exsangue de ses habitants où le peu qui reste luttent pour leur survie, et où, la production d'électricité ne souffrirait d'aucune panne !!! Cela fait beaucoup de couleuvres à avaler, pour un chat, ça va encore, mais pour moi ?
Tel un documentaire, le déroulé de l'histoire du chat à travers l'Histoire de l'humanité, d'instructif qu'il soit, souffre de quelques raccourcis faciles. D'hypothèses hésitantes de nos historiens, il fait vite des affirmations péremptoires. De même quand, page 181, il déclare que depuis la fin de l'Empire romain en l'an 476 et la Renaissance, autour de l'an 1500, l'humanité a stagné, aucune évolution notable. Mais alors, nonobstant cette allégation, qui a construit tous les châteaux forts, sans parler des cathédrales ? Qui a créé les premiers hôpitaux en Orient autour de l'an 700 ? Des hôpitaux de grande qualité où même les femmes pouvaient être médecin. Qui a inventé l'imprimerie ? Et que dire de l'invention du moulin à vent et à eau, de l'horloge mécanique, des lunettes de vue, de la charrue, du premier Atlas ? Dans le domaine militaire, c'est l'invention de la catapulte, du bélier et du trébuchet, puis de l'artillerie, qui fit grand mal aux anglais à la fin de la Guerre de Cent ans. Sans parler de la poudre à canon mit au point en Chine autour du IXème siècle. Dans le domaine des arts, notamment de la peinture, il y eut le grand Giotto, en musicologie c'est l'invention de la partition, du chant grégorien, du motet. Et que dire de la mise en place sous Charles VII d'un gigantesque commerce par bateaux où les échanges de produits avec l'Orient apportèrent richesse et renommée à la France ? Naturellement cette liste est loin d'être exhaustive.
Bernard Werber saisit la violence du monde à pleines mains entrelaçant et opposant le génie humain avec à la dangerosité d'un obscurantisme militant, nous tendant ainsi le miroir de notre propre vanité. Cependant, cette réflexion sur la société n'est-elle pas simpliste avec d'un côté les bons scientifiques et de l'autre les méchants religieux ? Le monde actuel n’est-il pas plus nuancé, plus subtil, plus compliqué ?
En vérité ce roman, aux allures d'anticipation, est un conte pour enfant ou pour adulte ayant gardé son âme d'enfant (ma fille va être contente). C'est une dystopie où tout l'imaginaire de Bernard Werber se déverse sans mesure, utilisant les corruptions de l’âme humaine pour les mettre en face de leurs conséquences mortifères. Malgré tout, Demain les chats est un livre qui laisse à penser avec le coeur, car qui pourra sauver une humanité en perdition... si ce n'est l'amour ? Ah... tout chat pour chat !
Assurément, ce roman est une admirable déclaration d'amour à l'encontre de nos fidèles compagnons de vie, même Colette ne pourrait pas dire le contraire... et puis qui sait : le salut des hommes passera peut-être par nos amis les chats ? Bah chat alors !
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