19 mars 2019

" Cadix ou la diagonale du fou "   de Arturo Pérez-Reverte   17/20


      En 1811, la citadelle de Cadix est assiégée par les troupes napoléoniennes. La ville antique, bâtie sur la tête d'une presqu'île, résiste allègrement à cet état de siège. En effet, Cadix ayant de tout temps été un grand port commercial, son ravitaillement par la mer se fait sans trop de difficulté. D'autant plus que l'armée française, outre son manque criant de matériel, rencontre une féroce résistance de la part des espagnols fidèles à leur roi Ferdinand VII, prisonnier des français. Malgré tout, les canonniers napoléoniens, après de judicieux réglages balistiques, parviennent à atteindre une partie de la ville andalouse. Dans la cité, là où plusieurs bombes sont tombées, des corps de jeunes filles sont retrouvés, férocement assassinées à coup de fouet aux lanières de barbelé. Le commissaire Rogelio Tizon, un policier brutal et corrompu, est chargé de l'enquête...

      Tout le talent d'Arturo Pérez-Reverte est de retranscrire, avec une minutie inouïe et une rigueur époustouflante, le tableau de toute une époque où abondent les crises politiques. Il décrit la vie quotidienne des habitants, qu'ils soient magistrats, notables, commerçants, marins, ouvriers ou miséreux, sans omettre les couleurs de la cité, ses odeurs et ses bruits de rues. La toile de fond étant si détaillée et si ciselée que les différents protagonistes n'en seront que plus crédibles. Dès lors, comment ne pas adhérer pleinement à l'histoire narrée ? D'autant que l'auteur jouit d'une excellente plume et d'une érudition inépuisable.

      Dans ce lieu clos, des militaires arrogants, des marins fatigués, des corsaires peu recommandables, une femme armateur à la volonté de fer, un taxidermiste colombophile envieux des philosophes des Lumières, un commissaire autoritaire, un artilleur français féru de balistique, etc, vont se croiser sous les forces facétieux du destin ; à un moment ou un autre, ils joueront leur réputation, leur richesse et leur vie sur l'infernal échiquier de la ville.

      Cadix ou la diagonale du fou n'est pas qu'un simple récit historique admirablement raconté, il s'agit aussi d'un effroyable polar où le policier aura besoin de toute sa longue expérience pour essayer de couper la sanglante diagonale de l’assassin : un fou assoiffé d'un intarissable besoin de créer une sorte d'ordre sordide dans le désordre de la guerre. Mais le plus bouleversant dans ce roman fleuve est l'histoire d'amour entre Lolita Palma, héritière d'une compagnie de commerce, et Pepe Lobo un corsaire ténébreux. Et pourtant, je ne suis pas du genre fleur bleue ; le talent de l'auteur culmine à un tel point de qualité et d'intelligence, qu'on ne peut éviter de se laisser cueillir, comme une simple midinette.

      Naturellement, la ville de Cadix y est magnifiée, une ville construite de pierres blanches luisantes sous les feux du soleil andalou, le tout posé dans un écrin de bleus, celui de la mer et celui du ciel. Arturo Pérez-Reverte en parle avec un tel amour, une telle verve, une telle fougue qu'elle en devient le personnage principal, incontournable. Ne serait-ce pas une invitation formelle à venir contempler la magnificence de la cité de ses propres yeux ?

      Seul bémol de ce roman fleuve, le savoir effréné de l'auteur qui nous laisse parfois dans son sillage : termes de navigation comme "auloffée" !!! ou tout le langage de l'artillerie ; de même pour la réflexion à la fois intellectuelle, ésotérique et métaphysique du professeur Barrul tentant de comprendre avec le commissaire les motivations du serial-killer. Nonobstant cela, Cadix ou la diagonale du fou fait partie des longs romans historiques, qui, malgré le nombre impressionnant de protagonistes et de situations se lit avec une étonnante fluidité.

      Incroyable roman à tiroirs, avec en rôle phare : Cadix la blanche, une ville où chaque quartier, chaque rue, chaque impasse dessine un échiquier géant où tout lecteur, accroché à sa diagonale, tentera de ne point s'y perdre et d'en devenir fou !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire