15 mars 2019

" L'amie prodigieuse IV  L'enfant perdue "   de Elena Ferrante   16/20


      Devenue une écrivaine reconnue en Italie, ainsi qu'en Europe, Elena vit au rythme de ses frasques amoureuses et de ses rendez-vous professionnels entre Milan, Florence et Naples : la ville de sa naissance. Depuis qu'elle s'est volontairement exilée du quartier populaire de sa jeunesse, Elena, la blonde, craint les retrouvailles avec Lila, la brune, son imprévisible amie d'enfance. Cependant, depuis quelques semaines, Lila insiste pour renouer des relations véritables, comme un vrai besoin de la revoir pour enfin lui parler de vive voix.

      Ainsi débute le quatrième et dernier opus de cette tétralogie napolitaine née d'une amitié d'enfance remontant aux années 1950. On y retrouve toujours cette vie effervescente, où les lois de l'amour sont énigmatiques et insondables, où les personnages issus de milieu sociaux divers s'affrontent au nom de la justice et de l'honneur, où la complexité des rapports de cette communauté éclaboussent tout un quartier, toute une flopée de familles et tout un pays.

      Comme dans les précédents tomes, assurément, l'écriture s'envole grâce à un souffle narratif inaltérable. Pendant la lecture, une seule convoitise subsiste, une seule avidité prône : connaître la suite !

      Par identification avec certains protagonistes, une empathie inextinguible naît, puis évolue au fil des imbrications amoureuses, des complicités amicales ou des inimitiés accusatrices. Sans le vouloir, chaque lecteur choisit son camp, néanmoins tout est vite remis en question au rythme des rebondissements plus ou moins inattendus. Difficile d'être plus loquasse sans spoiler. Cependant, avec son irrésistible pouvoir d'attraction et d'influence, est-il déplacé de voir en Lila une sorte de subconscient d'Elena, sa voix intérieure, son Jiminy Criquet ? En effet, nombre de ses actions passent infailliblement sous le prisme de Lila, avec ces interrogations comme un leitmotiv : qu'en aurait-elle pensée ? L'aurait-elle encensée ou honnie ? D'ailleurs, sans Lila, Elena aurait-elle eut le même parcours ? Serait-elle devenue écrivaine ? D'où une sérieuse introspection sur l'influence de notre entourage, suivie d'une mise en perspective de la question de la liberté. 

      Quant au personnage de grand séducteur opportuniste : Nino, je ne peux m'empêcher de le rapprocher d'un autre grand opportuniste de l'histoire de la littérature, né sous la plume de Maupassant : Bel-Ami ! Cette façon de s'amouracher des femmes dans le but de s'élever socialement, puis de les quitter quand celles-ci n'ont plus accès à la marche supérieure, aucun doute, ces deux là font la paire !

      En définitive, devant la galerie de portraits proposés par l'auteure, n'y a-t-il pas d'un côté les personnes qui se satisfont de leurs conditions de vie, en vivant sans soubresaut, dans l'épaisseur d'un trait relativement confortable, et d'un autre, ceux qui triturent la vie sans relâche, l'expérimentent, afin d'être constamment en harmonie avec leurs idées, leurs désirs, leurs exigences, au risque de souffrir des conséquences de ces appétences, soit, mais de manière entière et assumée ?

     Avec un peu de recul et à bien considérer tous les éléments disséqués dans les plus de 2200 pages des quatre opus, Elena Ferrante n'est-elle pas une sorte d'ethnologue dont le sujet d'étude porterait sur un quartier populaire de Naples vu sous le prisme de la culture, de la filiation, du langage, de l'amitié, de la contestation et de la mafia ? Avec cette somme littéraire, c'est tout un pan de la société napolitaine, puis italienne, qui s'agite sous nos yeux, secouée tour à tour par les conflits politiques, les efficiences mafieuses et par la géologie sismique du lieu, avec le Vésuve, telle une vigie observant le spectacle des hommes... et des femmes.

      Néanmoins, une fois cette lecture achevée, je me demande si Elena Ferrante réussit à boucler les destins de ses deux héroïnes ? En effet, il reste un reliquat non négligeable de questions en apesanteur et un certain nombre d’ambiguïtés non levées, à l'instar de celles de la vie me direz-vous, qui loin de tendre vers une lumineuse clarté s'affiche plutôt comme un fichu brouillon, plus ou moins organisé ; cependant mon côté rationnel m'empêche de considérer cette histoire comme terminée pour ne pas dire aboutie. A moins qu'une grosse surprise littéraire ne vienne nous surprendre d'ici quelques mois avec la sortie d'un cinquième tome ! Qui sait ?


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