" Shibumi " de Trevanian 18/20
Nicholaï Hel est né à Shanghai d'une aristocrate russe. Les vicissitudes de la vie feront de lui un apatride. Tout jeune, il quitte la Chine avec sa mère pour vivre au Japon. Passionné, puis subjugué par l'art subtil du jeu de go, Nicholaï en fera une doctrine de vie qui résonnera en lui tout au long de son existence.
Après une carrière très aventureuse, il se retire dans sa propriété du Pays Basque en compagnie d'Hana, son exquise compagne. Un jour, une jeune femme d'origine israélienne, traquée par une organisation internationale, vient solliciter son aide.
Ne comptez pas sur moi pour vous en dire plus, ce serait divulgâcher bêtement un futur beau et grand plaisir de lecture. D'ailleurs, pour chaque roman, moins on en sait au départ, plus la joie de la découverte est magnifiée. Et je ne dénoncerai jamais assez ces quatrièmes de couverture si bavardes qu'elles arrivent à résumer entièrement le livre, à quoi bon se lancer dans sa lecture après cela, il ne reste plus qu'à s'accrocher au style, mais quand il n'y en a pas !?!
Shibumi fait partie de ces romans atypiques et protéiformes dont on ne sait pas à la lecture des premières pages où l'auteur veut réellement nous emmener. Comme le dit si bien Stéphanie Banon, propriétaire de la librairie Charlemagne à La Seyne-sur-mer : On croit partir sur un roman d'espionnage, mais cela va bien au-delà de ça. On croit partir sur un roman historique, et cela va bien au-delà de ça. On croit partir sur un roman philosophique et cela va bien au-delà de ça. De toute façon, la qualité de l'écriture et la finesse de la plume de l'auteur nous entraînent sans effort sur un chemin baroque où bouillonnent à la fois une puissance absolue et la sérénité des jardins japonais.
En vérité, Shibumi est le portrait d'un homme bousculé puis façonné par les soubresauts de l'histoire d'un monde en pleine guerre mondiale, au point de ne plus vouloir en faire réellement partie, cherchant sa vie, sa vérité, sa raison de vivre ailleurs... et notamment dans les valeurs traditionnelles du Japon : pureté, fidélité, dignité, héroïsme et un amour inconsidéré pour la nature, celle d'où nous venons, celle qui se déploie toujours avec harmonie et sagesse. De plus, le personnage de Nicholaï Hel tutoie la perfection, cette sorte de samouraï moderne est incroyablement beau, particulièrement intelligent, redoutablement polyglotte et de plus, c'est un sportif de haut niveau, que demander de mieux ? Il tient le rôle du chevalier idéal, celui qui saura pourfendre la cynique idéologie de l'ouest axée autour de deux pôles : le profit et le matérialisme. Sa force intrinsèque réside dans le secret de la philosophie existentielle qu'est le shibumi : art hédoniste mettant l'accent sur la retenue et la mesure. Nicolaï fédère également par son rejet viscéral de la médiocrité, en tout point il vise l'excellence, aspirant à l'élévation sous toutes ses formes, qu'elle soit physique intellectuelle ou spirituelle.
Avec ces dialogues, pour le moins savoureux, l'auteur se livre à une critique acerbe de l'Occident et particulièrement de l'Amérique, état marchand par excellence, prêt-à-tout pour déployer un peu plus son hégémonie sur les peuples du monde, axant principalement ses actions autour de la captation des ressources énergétiques de la planète.
De par sa nature atypique, Shibumi se distingue des habituels romans d'espionnage. Il transcende le genre en le hissant à un niveau d'exception, grâce à des références, à un humour décapant, à une misanthropie jubilatoire et à une poésie indéniable. Grâce à toutes ces particularités, si bien agencées, on pourrait anoblir ce roman en le qualifiant de chef-d'oeuvre.
L'ensemble est divisé en six chapitres d'inégales longueurs, chacun d'eux porte le nom d'une phase du Shibumi, cet art japonais frôlant l'épicurisme et le bonheur de ressentir toute la beauté naturelle du monde jusqu'au plus profond de soi-même. Tel un idéal de vie, où une forme harmonieuse de simplicité rime avec un accomplissement du moi intime.
Volontairement, j'ai voulu rester très évasif sur le contenu du roman, j'aurais pu vous parler d'une certaine Volvo, d'un jardinier météorologue, de la dangerosité d'une simple paille, de spéléologie, d'un gnome époustouflant de puissance, d'une rare variété de fleurs poussant uniquement sur la montagne basque, etc, mais vous découvrirez tout cela par vous-même, car Shibumi, par son extravagance hors-normes et son originalité quasi anthologique, est un divertissement haut de gamme qui ne saurait être autrement que votre prochaine et incontournable lecture !
A noter la grande qualité des poches de l'édition Gallmeister, une imprimerie ignorant la moindre bavure, un papier délicat, un parfum envoûtant et une iconographie remarquable. Que demander de plus ?