22 juil. 2019


" Le poète " de Michaël Connelly   17/20

      Durant l'hiver 1996, Jack McEvoy, chroniqueur judiciaire d'un journal de Denver : le Rocky, apprend avec stupeur le suicide de son frère jumeau Sean. Celui-ci était inspecteur de police, il enquêtait sur le crime particulièrement odieux d'une étudiante de l'université de Denver, Teresa Lofton, retrouvée coupée en deux dans un parc de la ville.
      Durant les heures et les jours qui suivent, Jack McEvoy est en pleine réflexion : Pourquoi son frère se serait-il tiré une balle dans la bouche dans son véhicule de fonction ? D'autant qu'il n'a laissé aucune lettre, à part une vague phrase incompréhensible écrite dans la buée du pare-brise << Hors de l'espace et hors du temps >>. Mettant en doute la version officielle, Jack va mener sa propre investigation, une enquête qui le guidera sur les traces d'un serial-killer et qui bousculera l'arrogant FBI.

      Je n'ose en dire plus, moins vous en saurez dans les premières pages, plus votre plaisir croîtra, enfin, si on peut parler de plaisir devant le glauque et le sordide de l'histoire. Cependant, dès l'incipit : La mort c'est mon truc, c'est grâce à elle que je gagne ma vie votre curiosité est excitée et vous pousse à aller voir plus loin ce qui se passe, trop tard, vous êtes foutu !

      Bien que ce roman policier comporte plus de 750 pages, il est inconcevable d'en achever sa lecture sur le long terme tant celle-ci est rendue addictive par une tension parfaitement calculée qui grimpe en flèche au fil des chapitres. Quelques jours doivent suffire pour en venir à bout, mais attention aux nuits blanches !

      Avec Le poète, certains parlent d'un roman culte, d'autres le hissent au niveau d'un Raymond Chandler ou d'un James Ellroy, ce qui est sûr c'est que Mickaël Connelly a concocté une intrigue redoutablement maligne qui vous trimbale où elle veut avec une efficacité redoutable.

      Au-delà des protagonistes du roman, s'immisce l'esquisse d'une réflexion sur tous ces êtres humains incapables de maîtriser leurs pulsions, qu'elles soient sexuelles, sadiques ou assassines. Bien souvent ces personnes ont été tourmentées dès leur jeunesse ou même leur enfance. Elles ont parfois été la victime et la suppliciée avant d'être le bourreau et l'assassin. Toute société, dans un souci de compréhension, d'honnêteté et de justice, doit s'interroger sur l'origine du mal profond, sur la faible poussée qui crée le basculement vers l'inacceptable et l'impardonnable.
      Au travers de la psychologie des personnages principaux, Michaël Connelly aborde ces abîmes intérieurs, ces traumatismes récurrents du passé qui vous plombent des parties entières de vie, si ce n'est plus. Cependant, et c'est mon premier seul bémol de ce polar, cette analyse aurait mérité un plus grand développement, offrant au livre une autre dimension intrinsèque de l'âme humaine - on était plus à quelques dizaines de pages près - à moins de voir cet enjambement comme une impossibilité réelle de pénétrer au coeur de l'inconscience de chacun de nous en vue d'une dissécation factuelle ?
      Mon deuxième bémol vient justement du titre, Le poète, qui se réfère au meurtrier, jalonnant ces soi-disant suicides de vers issus des poèmes noirs d'Edgar Allan Poe - Ah, difficile de ne pas divulgâcher ! - cette piste, par son originalité, était digne d'une explication approfondie, capable de justifier le choix de tel ou tel vers. D'autant qu'Edgar Allan Poe est considéré par beaucoup comme le premier écrivain de roman policier. On le pressent, la passerelle était belle et ambitieuse, mais l'exploitation n'est pas à la hauteur de l'espoir engendré. Tant pis !
      Après réflexion, j'ai un troisième bémol sur le feu, je vous le mets aussi pour le même prix : N'y a-t-il pas un rebondissement de trop ? Avec l'avant-dernier, toutes les explications rentraient dans les cases, la boucle était bellement bouclée. Cependant, avec ce tout dernier coup d'éclat totalement inattendu, les différents éléments s'ajustent moins bien, ça déborde un peu des casiers de rangement ! Sous prétexte d'un ultime et surprenant rebondissement fallait-il créer un décalage qui se voit un peu trop au regard du manque d'explications qu'il génère ?
     Néanmoins, mis à part ces petits pinaillements dignes de ma rationalité parfois envahissante, je le concède, ce roman tient ses promesses, d'autant que fidèle à ses autres polars, l'écriture est au cordeau, tout est important, la moindre nuance fait sens. Michaël Connelly habite son oeuvre.

      A noter le plaisir de nous décortiquer tous les jeux d’influences et de notoriété qui se jouent au sein de la rédaction entre journalistes d'une part et avec le rédacteur en chef d'autre part, d'aucuns étant plus avides de sensationnel que d'une réelle enquête d'investigation. Il y a comme du vécu là-dedans, pas surprenant quand on connaît les débuts de carrière journalistique de l'auteur.

     Michaël Connelly s'avère être une plume qui sait jouer avec nos nerfs, sachant nous délivrer, avec Le Poète, un combat au sommet entre l'innocence et la perversité.




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