Février 1927, suite au décès de Marcel Péricourt, sa fille, Madeleine, devient l'héritière de l'empire financier qu’avait créé son père. Cependant, lorsque son fils Paul fait une chute tragique, elle a bien autre chose à penser qu'à perdre son temps dans des considérations gestionnaires et boursières. Fallacieusement manipulée par les hommes ivres de pouvoir, Madeleine connaîtra le déclassement et la ruine. Puis, pour l'amour de son fils elle mettra tout en oeuvre pour rebondir face à une société rimant avec phallocratie.
Oubliant vite le temps du deuil, mais pas celui des affaires, l'auteur nous dresse une série de portraits affligeants d'arrivisme : il y a Charles, le frère de Marcel Péricourt, un politicien sans scrupule ayant réussi sa carrière de député grâce aux appuis de son aîné ; puis Joubert le fondé de pouvoir, rêvant d'une reconnaissance qui ne vient pas, il profite de sa situation privilégiée pour se servir allègrement ; sans oublier Delcourt, le précepteur de Paul à la pédagogie atypique et qui ambitionne une carrière de chroniqueur dans la grande presse, enfin Léonce, la gouvernante, si belle et si influençable. Un vrai panier de crabes !
Avec en toile de fond les braises des futurs incendies nazis et fascistes qui ne tarderont pas à ravager l'Europe, Pierre Lemaître nous décrit une société viscéralement misogyne où les femmes n'ont toujours pas le droit de vote - contrairement au Royaume-Uni - et où gouverner rime avec ambitions personnelles et corruptions à tout va. Les choses ont-elles vraiment changées depuis ? D'autant que les résonances, pour ne pas dire les équivalences, se croisent dans chaque chapitre entre les années 1930 et aujourd'hui ; il n'est pas rare de mettre tel ou tel nom actuel sur l'un des protagonistes du roman. Tel un jeu où l'auteur semble follement s'amuser.
La plume de Pierre Lemaître tout en étant élégante et émouvante sait devenir provocante et espiègle, voire même cynique et révoltée. Par l'écriture et par l'intrigue me sont revenues des résurgences de romans anciens tels ceux d'Alexandre Dumas avec parfois une légère pointe de Tolstoï.
L'ensemble est plaisant à lire, j'en conviens assurément, cependant, j'émets un léger bémol qui m'a perturbé dans les premiers chapitres : dans le tome précédent, puisque celui-ci vient à la suite d'Au revoir là-haut, prix Goncourt 2013, le personnage de Madeleine était une femme volontaire et mordante qui ne se laissait pas abuser, ici, du moins au début, l'état d'esprit de Madeleine n'a rien à voir, il semble bien terne, pâlot, ayant perdu toute velléité, comme l'ombre de lui-même. Bien sûr, par la suite Madeleine se réveillera et reprendra des couleurs à l'aune de sa redoutable vengeance, mais ce décalage m'a néanmoins surpris.
Au travers de la vengeance d'une femme, c'est toute une société qui défile sous la plume acerbe de Pierre Lemaitre. Le rythme est soutenu, les protagonistes corrompus à souhait, les sentiments exacerbés, que demander de plus ?
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