26 août 2019


" Le peuple de l'Abîme "   de Jack London   19/20


      Au coeur de l'Angleterre prospère de l'ère victorienne, il existe un peuple évalué à un tiers de la population, un peuple qui ne profite pas de de cette opulente manne financière, bien qu'il y contribue largement, un peuple sans avenir, un peuple de misère surnommé " Le peuple de l'Abîme ".
      Afin de nous faire prendre connaissance de ces laissés-pour-compte, Jack London, en août 1902 et pendant sept semaines, n'hésite nullement à changer de costume, si je peux dire, pour s'immerger dans la population miséreuse de l'Est de Londres. Vêtu de loques afin de passer inaperçu, il s'approche au plus près de la terrible réalité du terrain et réalise ce que maintenant nous appellerions une enquête d'investigation.
      Ce peuple de travailleurs était irrémédiablement pénalisé par des salaires iniquement bas, cela suffisait à peine pour se loger et ne pas mourir de faim ; quand en plus l'infortuné était marié avec plusieurs enfants, il devait résoudre alors une équation sans solution. La déchéance physique et morale était inéluctable. Faut-il y ajouter une usure corporelle prématurée, l'accident de travail, la maladie, puis une mort libératrice ? Faut-il pour autant condamner moralement de nombreux travailleurs qui chercheront un dérivatif à la misère inexorable dans l’alcool ? Comme l'écrit si admirablement Jack London : Pour ces hommes et ces femmes infortunés, le malheur le dispute au malheur jusqu'à ce que la mort les libère.

      De plus, menée à petite échelle, la charité des assistances publiques, de l'église ou celle émanant des riches, telle qu'elle est pratiquée alors, c'est-à-dire de façon orientée et grandement abusive, tient plus de l'expédient pratique et rentable que d'une thérapie humaine et salvatrice.

      Devant un tableau aussi désastreux, devant une minorité d'hommes vivant dans un luxe indécent, devant une majorité d'autres hommes vivant comme des sous-hommes en ne bénéficiant pas des richesses qu'ils créent, doit-on se résigner ou crier son dégoût et sa rage ? Ai-je besoin de tirer un parallèle avec, depuis novembre dernier, la vague jaune qui tente de tirer le signal du désespoir ?

    Grâce aux maints et maints témoignages, documents administratifs et judiciaires rassemblés, on prend connaissance de ce monde immonde, avec en surplus, la logorrhée, la sensibilité et l'humanité d'un écrivain concerné et responsable.

       A lire certains chapitres très chiffrés ou nourris de relevés et de rapports détaillés, on a le sentiment, derrière la démarche de l'auteur, d'une volonté scientifique sous-jacente, comme l'ambition de prouver ses dires au cas où certains trouveraient à redire voire pire. Jack London veut un essai inattaquable, un essai éthique par respect pour toute cette population, injustement condamnée à survivre dans des conditions innommables et qui ne demande qu'une chose, une seule, vivre dignement de son travail... rien de plus.

      L'une des originalités du livre, outre sa démarche avant-gardiste, tient au fait que l'auteur est également issu de la classe ouvrière, ainsi l'expérience de la pauvreté fait partie intégrante de sa propre jeunesse, de son ADN, comme on dit aujourd'hui, même si elle était située à Ockland, aux Etats-Unis.

      Une fois de plus, Jack London nous offre un travail remarqué et remarquable, tant par sa qualité littéraire, sa pertinence et sa résonance, sachant appuyer là où cela fait mal. Une vraie réussite pour un écrivain, à mon goût, un peu trop minoré sinon ignoré par les soi-disant bien pensants. Jetez-vous-y les yeux fermés... enfin, c'est juste une image !



Visions fugitives du jardin estival
Partie 4




Montbretias sous canicule.




Agapanthes vues en plongée.





Les mêmes en contre-plongée !





Fleurs de Phlox dressées sur leurs ergots.




Glaçante et belle, l'argiope-frelon !




Interlude entre terre et ciel.




Timorées, les fleurs de capucine.




Deux betteraves rouges... amoureuses ?




Choux brocolis en pleine formation.




Récolte d'ail en pagaille !




Les roses Pierre de Ronsard.
Éclatantes mais... sans parfum !





D'opulents épis de maïs.





Tournesol seule,
en attente d'abeilles !


A très vite !


" T'en souviens-tu mon Anaïs ? "   de Michel Bussi   14/20



      Venant de Paris, Ariane et Anaïs, sa fille de trois ans, débarquent un beau jour de janvier à Veules-les-Roses avec une seule idée en tête : changer de vie en ouvrant une boutique. Ariane proposera aux touristes ses propres créations artistiques. Dans sa nouvelle maison, rapidement, le sentiment d'être observée fait naître en elle un grand malaise. Déroulant la bobine de fil de ce mystère, telle une Ariane digne de ce nom, elle sera entraînée plus de 150 ans en arrière, époque où une certaine Anaïs Aubert trouvait également refuge dans cette charmante bourgade normande.

      Une fois n'est pas coutume, Michel Bussi nous a concocté quatre nouvelles, dont je viens d'évoquer celle qui donne son titre au livre. Dans celle-ci, je reconnais volontiers à l'auteur une aptitude particulière pour s'emparer de faits historiques avérés et d'en imaginer des imbrications adventices. En dire plus nuirait à votre plaisir, néanmoins, ses descriptions de la station balnéaire sont comme une invitation à venir la découvrir... ou la redécouvrir avec un regard plus éclairé.

      Dans sa deuxième nouvelle, un couple de retraités s'offre un séjour dans un magnifique gîte normand, quand la propriétaire manque à l'appel. 
      Michel Bussi abuse de notre naïveté pour se permettre un rebondissement bien imprévu... quoique !
      Dans la troisième, c'est la corde psychologique de l'émotivité familiale que cherche à faire vibrer en nous l'auteur. Quant à la dernière, elle relève tout droit d'un effroi hitchcockien, même si à mon sens, le mystère peut-être défloré avant la dernière page par un lecteur attentif.

      Mon bémol, surtout dans la troisième nouvelle, vient d'un dénouement qui tarde à venir ; s'autoriser une narration passionnante et addictive autour d'un vide-greniers, ou pardon, d'une foire-à-tout, relève pour moi de la mission impossible.

      Quoi qu'il en soit, si le malicieux Michel Bussi possède un talent, c'est celui de savoir détourner notre attention tout en nous mijotant des intrigues bien senties émergeant sur un rebondissement surprenant. Sa plume, sans prétention, est tout à fait honnête. Sur une plage ou à l'ombre d'un arbre, la lecture de T'en souviens-tu mon Anaïs fait partie de ces petits livres de vacances qui sait divertir sans anesthésier. Léger et rafraîchissant comme une brise d'été ! Que demander de plus quand la chaleur règne en maître sur le pays ?


17 août 2019




HAÏKU   Partie CXXXI

°°°°°°°°°

avec toute cette pluie
sous nos parapluies
on ne voit plus le ciel


journée de pluie -
le nez à la fenêtre
mon chat est bouddha


temps gris
âme grise
besoin de me griser


pluie continue -
quelques notes de Satie
embellissent les gouttes


échappé d'un nuage gris
un rayon de soleil
colore la pluie d'or


14 août 2019


" La huitième vie (pour Brilka) "  de Nino Haratischwili   17/20


      Géorgie 1917, Anastasia, surnommée Stasia, est la fille d'un chocolatier de génie. Animée par un esprit rebelle, du haut de ses 17 ans, elle rêve de liberté en fantasmant une carrière de danseuse étoile à Paris. Cette vision émancipatrice va être sérieusement ébranlée le jour où elle croise la route d'un bel et brillant officier, Simon Iachi, premier lieutenant de la Garde blanche. La révolution d'Octobre se charge de précipiter leur mariage et d'assombrir leur destin.
      Sa soeur Christine, plus raisonnable que son aînée, est d'une époustouflante beauté, au point de voir un funeste et redoutable personnage historique s'intéresser d'un peu trop près à sa personne.

      Allemagne 2006, Niza, l'arrière petite fille d'Anastasia, habite Berlin depuis plusieurs années pour se soustraire au poids d'un passé familial devenu insupportable. Quand Brilka, sa frondeuse nièce de 12 ans, profite d'un voyage à l'Ouest pour disparaître, c'est Niza qui est chargée de la ramener en Géorgie.
      En vérité, Niza, à l'instar de Brilka, est en recherche d'identité. Afin de mieux appréhender, pour mieux l'anesthésier, un passé trop douloureux, Niza va coucher sur le papier l'histoire de la famille Iachi sur six générations au travers de ses souvenirs écartelés sur les barbelés de l'Histoire. Comme une catharsis pour se défaire définitivement des lourds dommages de son vécu familial où sont emberlificotés tant de liens avec l'histoire de la Géorgie. Ses écrits donnent cette saga romanesque et tragique dont elle est la narratrice.

      Autant, du point de vue de la quantité (presque 1000 pages) que de la qualité de la narration, ce pavé de 1,264 kilogramme est nourrissant et généreux ! Avis aux amateurs de fresque historique !

      Nino Haratischwili (contrairement à ce que pourrait laisser entendre son prénom est bien une femme) est une écrivaine qui sait, grâce à une plume alerte et précise, faire vivre toute une galerie de portraits en sachant méticuleusement faire exister chacun d'entre eux. Aucun des protagonistes n'est négligé ou précipité, leur état d'âme, leur psychologie et leur vision politique a le temps d'exister pour en faire des hommes ou des femmes à part entière, faisant naître ainsi une vraie empathie.
      Devant les affres abyssales du destin : la première guerre mondiale, la révolution bolchevique, les purges staliniennes, la seconde guerre mondiale, la lutte d'indépendance de la Géorgie, chaque personnage est mis au pied de l'Histoire, tout comme le lecteur. Doit-on suivre et même accompagner les violents mouvements politiques en cours, pour éviter les vagues scélérates, comme un chien fidèle ? Ou doit-on se rebeller contre un pouvoir totalitaire au risque d'une mort fort probable ? 

      De Moscou à Tbilissi, de Saint-Pétersbourg à Berlin, de Londres à Vienne, c'est à une terrible et époustouflante traversée du XXème siècle que nous exhorte l'auteure, en enchevêtrant continuellement la petite à la grande histoire. Naturellement, on songe aux grands écrivains russes du XIXème, qu'auraient-ils écrit du siècle qui leur a succédé ? Nino Haratischwili, fort inspirée, écrit : La mort s'abattit sur nos paupières, sur notre peau, comme un voile de poussière. Nous en étions tous prisonniers. Je la respirais et la sentais partout. J'allais jusqu'à me demander s'il y avait encore une limite entre la vie et la mort dans notre maison, si nous n'étions pas tous morts nous-mêmes sans le savoir.

      A l'exception de l'antépénultième page, est-ce une sorte de pudeur, est-ce une figure de style, est-ce à cause de leurs origines géorgiennes ou encore une impossibilité à écrire l'indicible ? Toujours est-il que Nino Haratischwili n'écrit jamais le nom des plus infâmes hommes politiques russes, elle leur trouve des surnoms dédaigneux et sarcastiques. Par respect pour elle et pour les millions de victimes, je ne les citerais pas non plus.

      L'auteure convoque avec ce récit, les fantômes de nos rêves non vécus, de ces rêves évanouis dans la nuit de la réalité, de nos vies perdues dans la course du temps, de nos fantasmes ou passions débridés à jamais bridés et condamnés à nous harceler plus ou moins, jusqu'à notre tout dernier jour.

      Des pages déchirantes sont écrites sur l'exil. L'exil forcé, certes, il permet de rester en vie, mais au prix de tant de souffrances psychologiques parfois insurmontables. Puis l'exil volontaire, celui qui libère le coeur et l'esprit, celui qui fait naître un autre soi... ailleurs. Cependant, avançant en âge, des images remontent à la surface, toute une panoplie de sentiments émergent à la conscience et finissent toujours par laisser un goût amer, comme une nostalgie, si ce n'est plus.

      Tout le long du roman, revient, comme un leitmotiv gourmand, la plus exquise recette de chocolat chaud inventée par le père de Stasia, l’aïeul chocolatier. Son parfum est tellement envoûtant que l'on se damnerait pour y goûter encore et encore. A tel point que l'on s'interroge : ne serait-ce pas une boisson initiée par le diable ? Un sortilège ? Ce qui expliquerait bien des choses !?!

      Contrairement à une idée reçue, souvent pertinente (je suis bien placé pour en parler) et bien que ce roman soit d'une longueur provocatrice, il serait difficile de l'élaguer sans provoquer une rupture du récit. En effet, rien n'est superflu, tout a sa place, tout est utile, seulement faire courir une histoire sur un siècle si dramatique cela demande un peu de place.

      La huitième vie est une saga séculaire, où la folie rôde, où les esprits s'enflamment, où l'histoire se met à tordre le destin des protagonistes et où chaque génération va devoir supporter, à son tour, les erreurs et les choix de leurs parents et aïeux.




9 août 2019





HAÏKU   Partie CXXX


°°°°°°°°°



sous le marteau du soleil
et la rabot du temps
les bulles de nos vies


aurore de canicule -
boire l'eau douce du soleil
avant qu'il ne pique


vent de juillet
son souffle d'or
douce caresse aux épis


soleil de plomb -
sur le champ d'orge
dix mille gouttelettes d'or


soir après soir
éternellement renouvelé
le coucher du soleil


Weeding cakes en série !






















A bientôt les gourmands !



2 août 2019





HAÏKU   Partie CXXIX


°°°°°°°°°


tel un drapeau
entre deux traits de bleu
Alger la blanche


sous les cris des mouettes
la mer pétille
champagne !


au-dessus de nos têtes
et sous nos pieds
des bleus infinis


seul dans la ville
pour se perdre
et tout voir


toujours sur les murs
le passé est là -
impacts de balles