Déjà auteur du bouleversant et renversant Sukkwan Island, David Vann remet le couvert avec une déchirante réécriture d'une des figures marquantes de la mythologie grecque : Médée.
Médée est une femme en révolte contre tout patriarcat, une femme poussant sa liberté jusqu'à briser tous les tabous pour affirmer un destin hors du commun, certes un destin effroyable, mais un destin exceptionnel, la preuve, on en parle encore 3 250 ans plus tard !
Le roman débute par la fuite sur l'Argo, un bateau d'origine égyptienne, du jeune couple d'amoureux, Médée et Jason, les voleurs de la toison d'or. Afin de distancer Eétès, le père de Médée et roi de Colchide, celle-ci n'hésite pas à découper des morceaux du cadavre de son frère, fraîchement assassiné, pour les balancer à la mer ; son père devant continuellement ralentir pour les ramasser afin d'offrir à son fils une sépulture digne de ce nom. Médée est-elle seulement une psychopathe impitoyable assoiffée de sang ou tous ses agissements ne sont-ils pas beaucoup plus complexes ? Car comme l'écrit l'auteur : Elle est Née pour détruire les rois, née pour remodeler le monde, née pour horrifier et brider et recréer, née pour endurer et n'être jamais effacée. Après une telle exposition, il faut chercher la raison de ce déterminisme extrême dans l'attitude d'Éétès, son père et son roi. Celui-ci, comme tous les rois, ne voit dans ses filles, à peine plus qu'un outil pour s'allier d’autres peuples à travers le mariage. Des émissaires non consentantes, leur volonté méprisée. Elle aurait bientôt été envoyée chez les Hittites ou chez les Égyptiens, ou n'importe qui d'autre, et oubliée, condamnée à ne jamais revenir chez elle. De plus, sa grand-mère a été, par son fils Eétès, bannie, niée, effacée, au profit d'une seul personne : son père Hélios. Avec de tels antécédents chaque pore de la peau de Médée crie désormais avec violence à la face du monde : Vengeance !
Après un temps d'adaptation au style de l'écriture, que l'on finit par juger remarquable, le texte prend toute son ampleur, toute sa puissance et toute sa déchirante universalité. En effet, la magie de la plume de David Vann est d'allier de façon dépendante le fond à la forme, à coup de phrases courtes, d'une structure malmenée, puis répétée à l'infini. Tout ceci ajoute à l'ensemble une rythmique orageuse menée comme une danse effrénée, telle une offrande à un Dieu, mais lequel ? Oh, peut-être celui de la littérature ? D'ailleurs de dieux, il en est souvent question, car Médée est avant tout une prêtresse d'Hécate : déesse de la lune, et de Nout : déesse égyptienne de la nuit, du firmament et la mère de tous les astres. De plus, souvent Médée se réfère à Hatshepsout, une reine-pharaonne (1458 avant J.C), une femme ...sans enfant, sans faiblesse, arborant une barbe, intouchable, et plus loin dans le temps, plus proche des dieux et des origines, mais seule, aussi. Telle est la femme que Médée aurait tant voulu être, une femme de pouvoir, une reine absolue, une déesse, gravant son histoire dans les sillons du temps.
La figure de Jason, le chef des Argonautes, est largement égratignée, sans Médée, rien ne lui serait possible, c'est elle, par sa magie et par sa persuasion qui lui permet de s'emparer de la toison. Loin de la force tellurique de Médée, il n'est qu'un couard, un homme sans honneur, un soumis, quadruplé d'une infidélité qui alimentera encore plus la volonté d'annihilation de Médée.
Sortie en octobre 2017, cette réécriture adroite et maligne d'une partie de la vie de Médée est à la hauteur d'un manifeste féministe, d'une proclamation à un droit d'exister à part entière, une revendication pour être enfin, elles aussi, des hommes décideurs, mais au féminin !
Nichée au coeur des mots et des phrases, on ressent un monde où les croyances sont partout, où la peur régit tout, la peur du pouvoir en place, la peur de s'embarquer sur la moindre embarcation (rappelons que nous sommes autour de l'an -1231, et que la terre est considérée comme plate, mais au bout de l'horizon, qui y a-t-il ? Une chute irrévocable ? La main ou le visage d'un Dieu ? Un mur infranchissable ? ).
Issue de ces temps révolus, Médée n'a jamais été autant d'actualité tant son combat contre toutes formes d'autorité masculine jalonne son parcours. Par sa force intrinsèque elle est une icône de la femme moderne et intransigeante, déterminée et combattante, insoumise et rebelle.
Ami lecteur, ce livre fait partie de ceux, trop rares à mon goût, qui resteront foncièrement accrochés à nos mémoires, même très longtemps après sa lecture. David Vann possède un art patent de conteur doublé d'un style atypique ; avec une habileté rare, il capte les désirs brûlants et les désillusions amères d'une femme ivre de liberté dans sa forme la plus pure. Malgré son côté macabre, où justement, grâce à l'idée d'emmener le lecteur plus loin qu'il ne s'y attendait, L'obscure clarté de l'air est un roman pertinent, intelligent, inventif et finalement... inoubliable !
Le roman débute par la fuite sur l'Argo, un bateau d'origine égyptienne, du jeune couple d'amoureux, Médée et Jason, les voleurs de la toison d'or. Afin de distancer Eétès, le père de Médée et roi de Colchide, celle-ci n'hésite pas à découper des morceaux du cadavre de son frère, fraîchement assassiné, pour les balancer à la mer ; son père devant continuellement ralentir pour les ramasser afin d'offrir à son fils une sépulture digne de ce nom. Médée est-elle seulement une psychopathe impitoyable assoiffée de sang ou tous ses agissements ne sont-ils pas beaucoup plus complexes ? Car comme l'écrit l'auteur : Elle est Née pour détruire les rois, née pour remodeler le monde, née pour horrifier et brider et recréer, née pour endurer et n'être jamais effacée. Après une telle exposition, il faut chercher la raison de ce déterminisme extrême dans l'attitude d'Éétès, son père et son roi. Celui-ci, comme tous les rois, ne voit dans ses filles, à peine plus qu'un outil pour s'allier d’autres peuples à travers le mariage. Des émissaires non consentantes, leur volonté méprisée. Elle aurait bientôt été envoyée chez les Hittites ou chez les Égyptiens, ou n'importe qui d'autre, et oubliée, condamnée à ne jamais revenir chez elle. De plus, sa grand-mère a été, par son fils Eétès, bannie, niée, effacée, au profit d'une seul personne : son père Hélios. Avec de tels antécédents chaque pore de la peau de Médée crie désormais avec violence à la face du monde : Vengeance !
Après un temps d'adaptation au style de l'écriture, que l'on finit par juger remarquable, le texte prend toute son ampleur, toute sa puissance et toute sa déchirante universalité. En effet, la magie de la plume de David Vann est d'allier de façon dépendante le fond à la forme, à coup de phrases courtes, d'une structure malmenée, puis répétée à l'infini. Tout ceci ajoute à l'ensemble une rythmique orageuse menée comme une danse effrénée, telle une offrande à un Dieu, mais lequel ? Oh, peut-être celui de la littérature ? D'ailleurs de dieux, il en est souvent question, car Médée est avant tout une prêtresse d'Hécate : déesse de la lune, et de Nout : déesse égyptienne de la nuit, du firmament et la mère de tous les astres. De plus, souvent Médée se réfère à Hatshepsout, une reine-pharaonne (1458 avant J.C), une femme ...sans enfant, sans faiblesse, arborant une barbe, intouchable, et plus loin dans le temps, plus proche des dieux et des origines, mais seule, aussi. Telle est la femme que Médée aurait tant voulu être, une femme de pouvoir, une reine absolue, une déesse, gravant son histoire dans les sillons du temps.
La figure de Jason, le chef des Argonautes, est largement égratignée, sans Médée, rien ne lui serait possible, c'est elle, par sa magie et par sa persuasion qui lui permet de s'emparer de la toison. Loin de la force tellurique de Médée, il n'est qu'un couard, un homme sans honneur, un soumis, quadruplé d'une infidélité qui alimentera encore plus la volonté d'annihilation de Médée.
Sortie en octobre 2017, cette réécriture adroite et maligne d'une partie de la vie de Médée est à la hauteur d'un manifeste féministe, d'une proclamation à un droit d'exister à part entière, une revendication pour être enfin, elles aussi, des hommes décideurs, mais au féminin !
Nichée au coeur des mots et des phrases, on ressent un monde où les croyances sont partout, où la peur régit tout, la peur du pouvoir en place, la peur de s'embarquer sur la moindre embarcation (rappelons que nous sommes autour de l'an -1231, et que la terre est considérée comme plate, mais au bout de l'horizon, qui y a-t-il ? Une chute irrévocable ? La main ou le visage d'un Dieu ? Un mur infranchissable ? ).
Issue de ces temps révolus, Médée n'a jamais été autant d'actualité tant son combat contre toutes formes d'autorité masculine jalonne son parcours. Par sa force intrinsèque elle est une icône de la femme moderne et intransigeante, déterminée et combattante, insoumise et rebelle.
Ami lecteur, ce livre fait partie de ceux, trop rares à mon goût, qui resteront foncièrement accrochés à nos mémoires, même très longtemps après sa lecture. David Vann possède un art patent de conteur doublé d'un style atypique ; avec une habileté rare, il capte les désirs brûlants et les désillusions amères d'une femme ivre de liberté dans sa forme la plus pure. Malgré son côté macabre, où justement, grâce à l'idée d'emmener le lecteur plus loin qu'il ne s'y attendait, L'obscure clarté de l'air est un roman pertinent, intelligent, inventif et finalement... inoubliable !
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