Écrivain, scénariste, compositeur et musicien de jazz, James McBride s'aventure sur les innombrables traces d'une figure mythique de la musique noire américaine : James Brown. De rencontres plus ou moins impromptues, en entretiens plus ou moins crédibles, il s'ingénie à démêler le vrai du faux de la vie cotonneuse du dénommé Monsieur Dynamite. En effet, l’icône de la soul fuyait comme la peste les interviews ; et quand il y était contraint, son discours divergeait d'un micro à l'autre. L'homme aimait s'entourer de mystères. Et l'écran de fumée qu'il laissait planer sur sa vie, non seulement lui était nécessaire, mais salvateur. D'ailleurs, son manager, Charles Bobbit, ne disait-il pas : Beaucoup de gens prétendent qu'ils le connaissent. Oh, je vois des livres, j'entends les gens dire qu'ils le connaissent. C'est que des conneries. La plupart ne le connaissant pas parce qu'il ne leur a pas permis de le connaître. Il ne le voulait pas.
Mets le feu et tire-toi ne ressemble absolument pas à une biographie classique, James McBride choisit des chemins de traverse, des digressions musicales ou historiques, dans le dessein d’esquisser en creux le parcours d'une sommité de la musique noire. Ainsi, il gagne en puissance et en émotion, dégageant au final le portrait d'un homme empêtré dans une vie choisie, certes, mais qui recèle de nombreux chausse-trappes. Notamment ceux d'un boss qui gérait tout, devant se démener comme un forcené devant la puissante industrie du disque (toujours dirigée par des blancs), subissant moult critiques pour son comportement vis-à-vis de ses musiciens, comme tout perfectionniste. Néanmoins, son chemin de vie (une enfance pauvre et trépidante, une entrée précoce en délinquance, la découverte du monde de la musique qui chamboule le gamin et dévoile son génie pour le chant et la danse) pouvait-il être autre quand celui-ci fut gangrené par les inégalités sociales, scolaires et raciales ?
D'après l'auteur, jusqu'ici les biographies du parrain de la soul contenaient de nombreux mensonges, sans parler du biopic de Tate Taylor intitulé Get on up, sorti en salle en 2014, qui frise les 40% d'inexactitude. Avec le travail de fourmi réalisé par James McBride, beaucoup d'approximations sont corrigées, naturellement, les faits deviennent moins spectaculaires, cependant, ils n'en sont que plus signifiants.
Chaque chapitre peut se lire individuellement, car chacun recèle une facette d'un être véritablement polymorphe. Chacune est racontée par une personne de son entourage proche, chacune vibre d'une énergie singulière et d'un écho inattendu. L'ensemble forme un kaléidoscope reflétant au plus propre de la réalité la personnalité d'un homme cherchant la lumière dans un monde de ténèbres.
James McBride est un biographe qui écrit en marchant, mais de surcroît, c'est aussi un érudit en matière de musique noire. Il éclabousse de son talent musical de larges pages, poussant de façon subliminale chaque lecteur à glisser en musique de fond toute une série de titres du génie de la soul.
Sous les méandres chaotiques de la vie d'une star de la musique noire, toute l'intelligence du livre, est de nous faire voir en perpendiculaire toute l'âme noire d'une Amérique blanche confrontée à ses démons intimes : la réussite absolue, le culte de l'argent et l'éternelle discrimination raciale. En effet, en amorçant son récit à partir de l'homme au 45 disques d'or, James McBride nous délivre une enquête intolérable sur la terre d'inégalité qu'est encore et toujours l'Amérique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire