Nous sommes à Paris, dans la deuxième partie du XVI ème siècle, pendant cette terrible période qui fut celle des guerres de religion. Du haut de sa chaire, le docteur en Sorbonne et curé de Saint-Benoît, Jean Boucher, harangue avec véhémence la foule de ses fidèles. Orateur hors pair, sa bouche fielleuse est une arme redoutable qui appelle, sans la moindre indulgence, à mettre à mort tous les hérétiques, le Roi, tous les subalternes du Roi, tous les faux catholiques, tous hommes et femmes à la vie dissolue, enfin... un peu tout le monde ! A la tête du groupe des " Seize", il enflamme par ses sermons un peuple qui ne demande que cela. Sa puissance de nuisance est telle que le 12 mai 1588 il oblige Henri III à prendre la fuite lors de la journée des Barricades. La place est libre, dès lors, les Seize tente de remplacer la monarchie par une dictature théocratique, aussi violente que sanglante.
Toute cette terrible histoire nous est racontée par le capucin Pierre Tison, le plus aimé des disciples de Jean Boucher ; il sera son secrétaire et confident pendant une trentaine d'années. Cependant, cet homme de foi porte un lourd secret au fond de son coeur, un secret ou plutôt une blessure qui ne cesse de le tourmenter et de le torturer. En effet, quand l'immonde machine de haine s'est mise en route, plus personne n'est à l'abri.
Patrick Lasowski nous raconte des destins perturbés, notamment ceux d'Henri III et d'Henri de Navarre. Pendant leur règne, ils sont confrontés à l'intolérance de prédicateurs catholiques habités par une haine si farouche, qu'elle vous conduisait rapidement à un procès, inévitablement tronqué, pour hérésie. Il est bon de rappeler qu'à cette période, tout comme aujourd'hui, l'intolérance religieuse est un sujet brûlant. Peu importe la religion, elle porte toujours en elle les germes potentiels du fanatisme, or les bases de chacune d'elle ne prône-t-elle pas la paix et la tolérance ? Devant les effroyables déchirements qu'ont causé les religions au fil des siècles, je ne peux m'empêcher de songer à un monde sans aucune d'entre elles. Le monde n'en serait-il pas moins violent ?
" Les singes de Dieu ", est-il vraiment un roman ? Tous les faits narrés sont décalqués sur la vérité historique ; la force tellurique et ténébreuse de l'écriture intensifie encore un peu plus la froideur d'une narration très factuelle. En effet, l'auteur se permet si peu de romanesque ou d'imaginaire que ce "roman" relève plus d'un livre d'histoire, pour autant cela n'a rien de péjoratif, c'est juste plus épineux à lire. De surcroît, devant tous ces hommes aveugler par une haine farouche, le lecteur cherche celui qui pourra lui inspirer une once d'empathie, histoire d'amener une lueur non pas de joie mais d'espérance... avant de simplement renoncer.
Dans ce chaos obscurantiste, même si cela ne joue qu'à la marge, il y a l'ébauche d'une romance, un peu d'amour candide au travers de la belle Madeleine Longeville. L'époque ne pouvant accepter des mœurs contraires aux canons, elle devra rendre des comptes pour son comportement inapproprié ; malgré tout, sa présence est une petite flamme, certes trop fugace, mais une faible raison d'espérer et d'envisager un hypothétique demain des possibles.
La plume de Patrick Lasowski à la fois belle et tragique, solennelle et froide, appliquée et féroce, renforce par un ton quasi clinique, le cynisme de l'ensemble.
Les singes de Dieu est au final un roman miroir, dénonçant les agissements d'hommes de foi aveuglés par leur frustration ou/et par la peur viscérale de l'autre. Sous couvert de faire respecter la loi de Dieu, ils sont prêts à toutes les cruautés les plus ignominieuses. Certes, parfois exigeant et aride à lire, par son côté impitoyable, mais néanmoins si universel.
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