18 janv. 2020


" Nos richesses "  de Kaouther Adimi   18/20


      Edmond Charlot à 20 ans en 1935. Il vit avec le rêve de créer à Alger un espace pour célébrer la littérature, l'art, l'amitié et la région méditerranéenne. Le 3 novembre 1936, après des vicissitudes inhérentes aux finances,  il ouvre au 2bis rue Charras une librairie, maison d'édition, bibliothèque et galerie d'art, sous l'enseigne " Les vraies richesses " emprunter respectueusement à un roman de Jean Giono. Albert Camus lui confiera l'édition de son premier texte de dramaturge "Révolte dans les Asturies" (interdit par le maire d'Alger), puis un recueil d'essais intitulé "Noces". Il sera le premier à imprimer "Le silence de la mer" de Vercors dès octobre 1943, puis Saint-Exupéry suivra, et tant d'autres... et non des moindres. Pourtant, les difficultés dues aux périodes traversées ne manqueront pas : pénurie de papier, absence d'encre, censure politique. Cependant, bon gré mal gré, il esquivera les obstacles pour toujours rebondir. Edmond Charlot ne fut jamais riche, il mourut même dans la misère en 2004, mais pour lui, pour Giono, comme pour tant d'autres, la seule vraie richesse était ailleurs.

      Alger 2017, Ryad, un étudiant stagiaire parisien, est embauché pour vider entièrement la librairie et la repeindre, afin de la transformer en commerce de beignets, sous le regard désapprobateur et vigilant d'Abdallah, le dernier gardien des lieux.

      Grâce aux possibilités infinies et jouissives de la fiction, Kaouther Adimi fait revivre l'histoire vraie d'un homme diablement insoumis et fou de littérature méditerranéenne. D'ailleurs, Edmond Charlot avait inscrit sur sa vitrine : Un homme qui lit en vaut deux.
      Par le truchement d'un journal imaginaire, l'auteure nous embarque dans une époque où l'histoire, avec un grand H, est pleine de soubresauts et de convulsions. Pour un insubordonné et un frondeur comme Edmond Charlot, quand tout contribue à vous mettre des bâtons dans les roues, il faut faire preuve d'une volonté de fer, d'une abnégation totale et d'une créativité débridée, afin de  métamorphoser ses rêves en réalité. Loin des vérités officielles et de la chape de plomb bâties par la France, l'héroïque M. Charlot veut choisir la littérature comme boussole, en construisant une contre culture, une autre vision du monde méditerranéen où seul le profit est source d'épanouissement.
      En opposition à cette idée culturelle, Kaouther Adimi invente, Ryad, ce personnage d'étudiant n'ayant aucun goût pour la littérature et les livres en général. Il est venu de France pour faire place nette, pour tout jeter : livres, affiches, tableaux et étagères aux profits d'une boutique de...  beignets !!! Quand le commercial tue toutes notions de réflexions. Quand le futile assassine l'utile. Quand  seul le mercantile est source d’épanouissement !
      C'est cette judicieuse opposition qui nous permet de voir le monde en relief, tel un soleil algérien couchant qui accentue les ombres pour mieux y lire l'altérité.

      La seule ombre au tableau, qui n'en est pas vraiment une, vient de la brièveté du texte. J'aurais voulu plus d'Alger, plus de convivialité, plus de soleil, plus de bleu, plus de tout ! Kaouther Adimi se distingue dans une concision humble. Elle se veut la voix d'une passeuse, de celle qui dit pour que l'on n'oublie pas, de celle qui raconte pour que la passé est un sens et la vie aussi. Un grand petit livre !


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