7 avr. 2020

" L'usine à lapins "   de Larry Brown   17/20



      Si les paysages glacés, les personnages cassés et losers hauts en couleur du film de Joël Cohen : Fargo, vous ont séduits, ce livre est pour vous.

      L'histoire se déroule dans les environs de Memphis, dans le Tennessee, lors d'un décembre hivernal, où, dans un chassé-croisé sans élégance, toute une flopée de protagonistes vont être confrontés à leur névrose et leur addiction, quand ce n'est pas à leur folie et leur perversion. Dans un ballet désespéré, chacun s'efforcera d'exister à travers la drogue, l'alcool, la clope... et naturellement le sexe. Tous sont issus d'un passé difficile, voire abject, tel Domino, abandonné bébé dans une poubelle, puis utilisé comme objet sexuel par la femme qui l'adopte. Toute cette faune de paumés tentera de s'extraire des méandres noirs de sa condition, mais hélas, ce sera pour plonger encore plus bas, comme le stipule la loi de Murphy : Tout ce qui susceptible d'aller mal, ira mal.

      Malgré le parcours malheureux et déprimant de ses personnages, Larry Brown, grâce à une plume dépouillée, parvient à nous les rendre attachants. Nonobstant le lourd poids de la solitude et des désirs inassouvis, il marie avec élégance le tragique et le violent à l'agréable douceur de tendres possibilités.

      Et quelle belle place laissée aux animaux de tout poil : des chiens, une baleine et son baleineau, un cerf, un chat, etc. Chacun est là pour faire ressortir un trait de caractère de l'un des personnages : l'amour, l'espoir, l’incompréhension, l'abnégation, l'envie. Grâce à cette ménagerie hétéroclite, une humanité se redessine en filigrane, le chaos peut encore attendre, tout n'est pas irrévocablement avarié.

      Le livre est découpé en 100 chapitres d'une longueur inégale, certains peuvent se limiter à 6 lignes, d'autres à 6 pages. L'ensemble forme une partition intelligemment mis en scène à l'équilibre aiguisé. De surcroît, il donne un magnifique et terrifiant exemple de l'effet papillon, celui qui à partir d'un simple et insignifiant petit incident engendre dans sa foulée une suite inimaginable de conséquences.

     A noter que ce roman possède une bande son des plus remarquables, de nombreux personnages s'entourent d'univers musicaux allant du country au blues et brossant les années 50, 60, 70. Ainsi, il convoque pêle-mêle Neil Young, Hanks Williams et Merle Travis. Une putain de vraie bande musicale vous dis-je !

      Malgré ces personnages aux rêves fourvoyés et aux âmes perdues, L'usine à lapins est un roman profondément humain, où des hommes et des femmes n'en finissent pas d'expier des fautes qu'ils n'ont pas vraiment commises. Inévitablement, chaque lecteur finira par s'identifier à cette humanité égarée. Une humanité pas très glorieuse, mais tellement universelle.


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