Babylone, an 323 avant Jésus-Christ. Lors d'un banquet, au milieu de la musique, de la danse et des rires, un homme de 32 ans s'écroule, terrassé par une fièvre soudaine. Il s'appelle Alexandre le Grand.
En démiurge de l'écriture, cette fois-ci Laurent Gaudé pose sa réflexion littéraire sur les dernières heures d'un personnage mythique. Avec engouement, il s'affranchit de l'Histoire antique pour la métamorphoser en légende. Légende nécessairement fantasmagorique pour être à l'échelle de son sujet. Il explore également, comme il l’avait déjà fait dans La mort du roi Tsongor, la difficulté de transmettre l'héritage paternel d'une vie, et à plus forte raison, d'une vie de conquêtes.
La plume de l'auteur est portée par un souffle épique, enveloppant d'un drapé martial et onirique chacun des protagonistes. Car beaucoup sont écartelés entre le devoir et l'ambition, la fidélité ou la trahison. D'autres, plus humbles et plus sages ne veulent revenir à la vie courante qu'après une respectueuse période de deuil.
Ce qui intéresse Laurent Gaudé est d'insuffler au récit une énergie fiévreuse, seule digne d'être à la hauteur de l'homme : Alexandre, celui qui vit comme un homme pressé, avide de conquêtes, de richesses et de beauté. Mais également affamé de terres nouvelles pour y construire ses propres cités nommées : Alexandrie (les chiffres officiels tournent autour d'une vingtaine). Homme contradictoire, plein de rêves et de violence, Alexandre le Grand doit son décès à une forte fièvre ; peut-être cette redoutable fièvre est-elle née de l'apothéose de toutes celles qui le firent chevaucher comme un dément sur de si grands espaces.
Pour seul cortège est un récit narré par deux voix, celle d'Alexandre et celle de sa belle-soeur et fille de Darius : Dryptèis. Dans une communion allégorique, chacun va offrir à l'autre la faculté de s'émanciper du fardeau de l'Histoire pour jouir d'une liberté si douce et si légère. Fidèle à son habitude, Laurent Gaudé fait parler les morts, dans nombre de ses romans, il utilise ce procédé comme pour la transcender, et en faire un état à part, une parole d'outre-tombe, une parole devenue sage.
Pour seul cortège décrit un monde qui s'écroule pour laisser place au chaos. Les soubresauts qui s'ensuivent sont comme des échos de l'éternelle et abominable vanité humaine. L'homme, du haut de ses millions d'années d'existence est-il condamné à ne jamais apprendre de ses erreurs ? Quel dieu, dans son infini machiavélisme, a-t-il pu jeter une telle malédiction sur nos pauvres âmes ?
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