14 déc. 2020



 " Sombre dimanche "   de Alice Zeniter   15/20


      Quand le passé embrumé gâche l'espoir d'un futur plus heureux, chaque instant éveille le regret.

      De génération en génération, la famille Mandy habitent toujours la même maison de bois sagement posée entre les rails enchevêtrés d'un aiguillage de la gare de Nyugati à Budapest. De lourds secrets de famille pèsent sur les frêles épaules du jeune Imre Mandy, où, dans cet univers à la fois étouffant et mélancolique, son grand-père ne voit qu'un responsable des malheurs du clan Mandy : Staline. Dans cette ambiance lourde et glauque, Imre tentera de se créer son propre monde, mais, que les couches du passé déposées en strates successives sont si écrasantes ! 

      Créer une atmosphère à la fois lugubre et singulière tout en s'interrogeant sur la vacuité de l'existence, voilà bien le talent d'Alice Zeniter. Dans cette histoire foncièrement hongroise, elle nous dessine au scalpel la destinée de tout un peuple habitué à vivre constamment sous le joug des invasions successives. 

      Le titre, Sombre dimanche, peut se décliner en une infinité d'échos : sombre maison, sombre famille, sombres paroles, sombre amitié, sombre vie, sombre avenir, sombre pays et naturellement : sombre roman ! 

      Chez les Mandy, même la parole est tue. Toutes ces phrases qu'ils ne se disent pas comme jetées dans un gouffre aussi profond que la mort. Le silence fait loi, le silence fait désespoir.

      L'écriture, à l'image d'un tableau, se noue et se dénoue tout en dégradés de lumière, de remords, de sentiments, de regrets et de nostalgie. Il y a comme une couleur d'automne qui plane sur le récit, avec son impossibilité d'aller de l'avant, de tout plaquer et de fuir cette zone de malaise. En effet, vouloir vivre autre chose, avoir le désir de prendre un des trains qui passent constamment devant les protagonistes, cela requiert une certaine volonté, un vrai courage. Cependant, engluée dans une vie et un pays qui stérilisent le moindre désir, cette sinistre famille regarde passer l'Histoire, le temps... et les trains !

      Ce roman se double d'une réflexion sur le bonheur : est-ce cela la vie : une succession de petits moments d'espoir et de longues périodes de dépression ? Malgré les années, et la sagesse que l'on peut espérer en tirer, la montée de l'un fait instantanément oublier l'autre. Est-on condamné à errer de l'un à l'autre, sans espoir, sans remission, tel un Sisyphe de l'absurde ?

      Certes, Sombre dimanche est un roman à ne pas mettre entre toutes les mains tant sa noirceur vous plombe une atmosphère plus vite qu'un tir de chevrotine, cependant, en filigrane, se profile la condition humaine avec tous ses secrets, ses désillusions et ses rêves impossibles.


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