23 févr. 2021


  " Un ciel de coquelicots "   de Zohreh Ghahremani   17/20


        Ce titre, tel un fragment d'haïku emporte l'imagination.

      Fracturé de profondes failles sociales et politiques, l'Iran des années 1960 est un pays où l'autorité est de plus en plus contestée. Pourtant, le Chah Mohammed Reza Pahlavi tient les rênes du pouvoir d'une main de fer, toute contestation se voit étouffée dans l'œuf sous la férule d'une terrible police politique : la Savah. C'est dans ce contexte délétère que va naître une improbable amitié entre deux lycéennes que tout sépare : Roya, fille d'une famille de notables qui se laisse vivre en ignorant tout ce qui se joue sous ses yeux, et Shirine, une fille du peuple investie d'une farouche indépendance d'esprit et révoltée contre l'iniquité du pouvoir. Chacune, avec sa sensibilité, va être amenée à définir son propre investissement et sa propre responsabilité dans les bouleversements en cours et à venir.

      Quel titre magnifique pour une histoire de quête de liberté de penser et d'agir ! Tout en fragilité et en gigantisme. Peut-être pour souligner le pouvoir immarcescible de la poésie en Iran ?

      Zohreh Ghahremani distille, avec finesse et précision, le climat menaçant de la crise qui sert de prélude à l'arrivée de la révolution islamique. Celle-ci influence, puis pèse lourdement sur le cheminement intellectuel et familial de nos deux jeunes filles. Telle une terrible initiation à une vie sous contrôle permanent, elles sont amenées à faire des choix, à prendre des décisions qui peuvent leur être fatales, pour elles, mais aussi pour leur famille. Comme tout un peuple, souvent Roya pleure. Elle pleure sur sa mère disparue trop tôt, mais aussi sur la tyrannie, qui tel un immense tchador noir, recouvre tout un pays, toutes les âmes iraniennes, toutes les velléités de liberté.

      L'une des forces du roman est de mettre en avant un pays gigantesque (plus de 80 millions d'habitants en 2018) et de nous parler de la beauté de ses paysages, de ses traditions et de ses grands écrivains. De nous décrire aussi ce basculement impensable d'une souveraineté vieille de 25 siècles, bousculée, du jour au lendemain, tel un fétu de paille, par une révolution islamique. En changeant une tyrannie pour une autre, le peuple iranien y-a-t-il gagné au change ? L'Iran est-il condamné à rester une nation maudite ?

      Une belle écriture, sans fioriture excessive, colle au plus près de ces personnages ; beaucoup d'émotions se glissent sous la plume, peut-être au détriment d'autres choses, mais là, est le cœur du livre : sous la force coercitive du pouvoir, projeter de l'amour malgré tout.

      Tout au long de la lecture, en filigrane, se glisse une interrogation loin d'être anodine : Si vous habitiez en Iran, quel serait votre comportement : suivre docilement la politique despotique du gouvernement et ainsi jouer la carte de la soumission, ou, respecter ses convictions et faire acte de défiance vis-à-vis d'un pouvoir absolutiste, mais au risque d'en souffrir dans sa propre chair et celle de sa famille ? Loin d'être insignifiante, cette question est à la fois fondamentale et universelle. Quel prix est-on prêt à payer pour vivre ou ne pas vivre en liberté ? Vous avez 4 heures !

      Sur la toile de fond d'une nation contrainte à rompre son identité profonde, Un ciel de coquelicots décrit, d'une façon poignante et admirable, l'enchevêtrement inextricable entre l'amitié, la répression, la poésie, le sacrifice et l'amour. Une vraie réussite sur un peuple si peu connu.


9 févr. 2021




 " Opus 77 "   de Alexis Ragougneau   18/20


      Derrière tout pygmalion se cache-t-il un harceleur psychologique ?

      Alexis Ragougneau, ce jeune auteur, déjà si talentueux, nous invite à découvrir les coulisses obscures du monde de la musique classique à travers le prisme de la famille Claessens, une famille où une douleur sourde rode, née des excès des passions et des comportements obsessionnels. 

        Ariane, la fille de la famille Claessens, elle-même pianiste émérite, va nous dérouler le fil de l'histoire familiale par petites notes et en multipliant les flash-back. Elle nous raconte son père, un homme à l'égo surdimensionné qui choisit de consacrer toute sa vie à la musique classique, d'abord comme pianiste concertiste, puis, quand les mains perdent leur agilité, il devient chef d'orchestre. Cet homme de pouvoir n'aura de cesse de vampiriser sa famille dans le dessein de toujours privilégier son art. Par amour pour cet homme, Yaël, une chanteuse lyrique d'origine israélienne, quitte son pays, sa famille, ses amies, mais tous ces renoncements ne servent qu'une cause : celle du maestro, dont elle a deux enfants : Ariane et David. Obligatoirement musicien, David choisit le violon, peut-être par rebellion, mais aussi par peur de ne pas être à la hauteur des exigences de son père. Il devient un violoniste prodige à deux doigts de la reconnaissance mondiale, mais, lors du prestigieux concours " Reine Elisabeth " synonyme de lancement de carrière, le jeune David, survolant la finale sans égal, va commettre l'irréparable. C'est ce drame qui fera l'ossature de ce roman.

      Alexis Ragougneau atteint littérairement son point d'acmé avec le récit de la finale du concours, où, sous la direction de son père, David interprète ce fameux et terrible opus 77 de Chostakovitch. Durant quelques pages grandioses, la description atteint un tel lyrisme, qu'il est impossible de rester de marbre. En effet, le dialogue musical entre le père et le fils exprime tant de sentiments, que le lecteur est aspiré par les mots, par les notes, il ressent la force vitale de la musique jouée constamment sur le fil tendu de la rupture. Ce n'est pas un concours qui se joue, mais le combat d'une vie, de toute une jeune vie. Les corps vibrent, les chairs sont à vif, les notes sont des armes, puis des caresses d'amour. Comment se relever d'une telle communion musicale ? Comment rester insensible à ces deux âmes qui se cherchent, qui se retrouvent et s'unissent enfin, dans une osmose splendide mais si éphémère ?

      Par les mots et sous la forte l'influence de l'opus 77, deux vies s'imbriquent et entrent en résonance : celle de David et celle de Chostakovitch, tout deux confrontés à un totalitarisme, celui d'un père d'un côté et celui d'un pays de l'autre. En effet, le compositeur Chostakovitch vécut, tout au long de sa jeunesse dans une terreur indicible sous le joug stalinien, s'attendant chaque matin à être arrêté et fusillé pour avoir déplu, par ses créations musicales, au parti bolchévique. Ainsi, annihilant les époques et les hommes, les luttes se rejoignent à travers la puissance intrinsèque de la musique.

      Naturellement, ce roman vise l'incommunicabilité entre les êtres, toutes ces douleurs tues, tous ces désirs inassouvis et toutes ces quêtes de mots d'amour jamais prononcés. Avec en filigrane, cette autre question : comment se faire estimer et aimer de sa progéniture et de sa femme tout en restant soi-même ? Terrible, insurmontable et éternel dilemme !

      Côté coulisse, Alexis Ragougneau n'a pas son pareil pour démystifier l'industrie du disque classique. Elle aussi mise et fonctionne en priorité sur l'apparence, le charme et la beauté, avant de s'intéresser au fond. Si vous êtes un jeune prodige et que votre physique est parfait, votre carrière est assurée ; si vous maîtrisez totalement votre instrument, mais que vous êtes loin d'être un Adonis ou une Vénus, vous allez ramer longuement avant d'avoir un léger espoir de percer. Sans parler des critiques qui aiment être caresser dans le sens du poil, sinon, gare à votre carrière.

     Alexis Ragougneau fait preuve d'une grande maîtrise de la plume, il sait l'enrichir et la dénuder sans l'appauvrir ; de surcroît il utilise adroitement l'art subtil du point-virgule, comme une pirouette à tous ceux qui méprisent tant cette originalité de la langue française.

      Opus 77 est un psychodrame familial virtuosement interprété et admirablement écrit, quoi demander de mieux ?


3 févr. 2021

 Visite du jardin hivernal

Partie 1




Le potager sous la neige
du dimanche 24 janvier.




Même bouddha a eu le droit
à un petit chapeau blanc !




Quand le givre réhausse la beauté
des roses d'hiver.




On dirait des arbres en miniature :
les choux frisés tout givrés.




Quand la banalité d'une table de jardin glacée
se mue en art graphique.





Malgré le froid,
les fèves s'affirment au soleil d'hiver.




L'hiver pluvieux offre
des miroirs au ciel.




Peu avant l'éclosion de ses bourgeons
le saule marsault sous le regard solaire.




L'impatiente ciboulette
déjà en pleine croissance !




Sous le doux feu hivernal du soleil,
même le choux de Bruxelles
ne manque pas de grâce.



Allez, pour se réchauffer, 
quelques roulettes raisins maison
sortant du four !


Désolé pour la bébête du jardin, mais en plein hiver, telle la marmotte : elle hiverne !

A bientôt.