" Un ciel de coquelicots " de Zohreh Ghahremani 17/20
Ce titre, tel un fragment d'haïku emporte l'imagination.
Fracturé de profondes failles sociales et politiques, l'Iran des années 1960 est un pays où l'autorité est de plus en plus contestée. Pourtant, le Chah Mohammed Reza Pahlavi tient les rênes du pouvoir d'une main de fer, toute contestation se voit étouffée dans l'œuf sous la férule d'une terrible police politique : la Savah. C'est dans ce contexte délétère que va naître une improbable amitié entre deux lycéennes que tout sépare : Roya, fille d'une famille de notables qui se laisse vivre en ignorant tout ce qui se joue sous ses yeux, et Shirine, une fille du peuple investie d'une farouche indépendance d'esprit et révoltée contre l'iniquité du pouvoir. Chacune, avec sa sensibilité, va être amenée à définir son propre investissement et sa propre responsabilité dans les bouleversements en cours et à venir.
Quel titre magnifique pour une histoire de quête de liberté de penser et d'agir ! Tout en fragilité et en gigantisme. Peut-être pour souligner le pouvoir immarcescible de la poésie en Iran ?
Zohreh Ghahremani distille, avec finesse et précision, le climat menaçant de la crise qui sert de prélude à l'arrivée de la révolution islamique. Celle-ci influence, puis pèse lourdement sur le cheminement intellectuel et familial de nos deux jeunes filles. Telle une terrible initiation à une vie sous contrôle permanent, elles sont amenées à faire des choix, à prendre des décisions qui peuvent leur être fatales, pour elles, mais aussi pour leur famille. Comme tout un peuple, souvent Roya pleure. Elle pleure sur sa mère disparue trop tôt, mais aussi sur la tyrannie, qui tel un immense tchador noir, recouvre tout un pays, toutes les âmes iraniennes, toutes les velléités de liberté.
L'une des forces du roman est de mettre en avant un pays gigantesque (plus de 80 millions d'habitants en 2018) et de nous parler de la beauté de ses paysages, de ses traditions et de ses grands écrivains. De nous décrire aussi ce basculement impensable d'une souveraineté vieille de 25 siècles, bousculée, du jour au lendemain, tel un fétu de paille, par une révolution islamique. En changeant une tyrannie pour une autre, le peuple iranien y-a-t-il gagné au change ? L'Iran est-il condamné à rester une nation maudite ?
Une belle écriture, sans fioriture excessive, colle au plus près de ces personnages ; beaucoup d'émotions se glissent sous la plume, peut-être au détriment d'autres choses, mais là, est le cœur du livre : sous la force coercitive du pouvoir, projeter de l'amour malgré tout.
Tout au long de la lecture, en filigrane, se glisse une interrogation loin d'être anodine : Si vous habitiez en Iran, quel serait votre comportement : suivre docilement la politique despotique du gouvernement et ainsi jouer la carte de la soumission, ou, respecter ses convictions et faire acte de défiance vis-à-vis d'un pouvoir absolutiste, mais au risque d'en souffrir dans sa propre chair et celle de sa famille ? Loin d'être insignifiante, cette question est à la fois fondamentale et universelle. Quel prix est-on prêt à payer pour vivre ou ne pas vivre en liberté ? Vous avez 4 heures !
Sur la toile de fond d'une nation contrainte à rompre son identité profonde, Un ciel de coquelicots décrit, d'une façon poignante et admirable, l'enchevêtrement inextricable entre l'amitié, la répression, la poésie, le sacrifice et l'amour. Une vraie réussite sur un peuple si peu connu.
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