" Le lit d'Aliénor " Tome I de Mireille Calmel 12/20
C'est à la fois osé et cela ne manque pas de panache, puisque, pour son tout premier roman, Mireille Calmel s'empare de la jeunesse de la célébrissime Aliénor d'Aquitaine, ouvrant ainsi le tout premier tome d'une saga dynamique. Il y a de la hardiesse et une bonne dose de générosité dans cette démarche ambitieuse. Néanmoins, devant le côté inévitablement casse-gueule de cette tentative, l'essai est-il marqué ?
Comme le diraient les joueurs de rugby de la région d'Aquitaine : " Essai réussi, mais pas transformé ! ". En effet, la noble intention est là, mais la manière laisse quelque peu à désirer. Je m'explique : effectivement, nous suivons le parcours de la jeune duchesse d'Aquitaine depuis ses 12 ans, en passant naturellement par son premier mariage à 15 ans avec le roi de France : Louis VII, sans oublier leur présence lors de la deuxième croisade, l'ensemble courant jusqu'à ses 30 ans, soit le jour de son second mariage avec Henri II Plantagenêt. Tout est narré avec une plume généreuse, digne d'une belle littérature populaire. Seulement voilà, ce récit captivant, à l'image d'un biopic respectable, ne représente qu'un tiers du livre, le restant est attribué à une certaine Loanna de Grimwald, personnage inventé qui serait un peu fée et un peu sorcière, envoyée par son ancêtre Merlin l'enchanteur !!! Héritière des secrets druidiques, Loanna a une mission : devenir la dame de compagnie et confidente d'Aliénor, de manière à mettre en place toutes les conditions pour qu'elle épouse un jour le futur roi d'Angleterre : Henri II, arrière petit-fils de Guillaume le Conquérant et futur père de Richard Cœur de Lion !
On peut comprendre que le personnage de Loanna de Grimwald, outre la voix narrative, soit là pour aider à mettre en valeur et en perspective la future Reine de France : Aliénor d'Aquitaine. De plus, avec la romance amoureuse entre Loanna et Jaufré Rudel, un troubadour ayant réellement existé, cela relance constamment le récit. Toutefois, une fois la lecture achevée, notre regard a été tellement décentré que l'on se demande quelle est la protagoniste principale du roman ? Loanna ou Aliénor ? Dommage qu'un personnage fictif prenne autant d'importance et que la pauvre Aliénor se retrouve reléguée au rang de second rôle ! Certes, un second rôle royal, mais de deuxième plan. C'est du moins mon fort ressenti, et je le partage avec... moi-même !
De surcroît, en ces quelques 530 pages, les scènes de sexe sont si omniprésentes entre amours saphiques, incestueux, hétérosexuels ou tout simplement : coïts de remerciement (il faut bien attirer le lecteur hésitant), que cela frise l'overdose, d'ailleurs le titre pouvait déjà nous mettre la puce à l'oreille ! En regard de ce qui précède et de ceci, le roman aurait dû s'intituler : Le lit de Loanna de Grimwald !
Malgré ces remarques, je dois reconnaître que Mireille Calmel sait, telle une historienne, nous captiver en regard des les plus belles pages de ce roman, notamment en faisant ressortir les différences flagrantes avec d'un côté Louis VII : sous une apparence de sérénité se niche un être torturé, manipulé par ses sentiments et par son épouse, car c'est un homme habité par la foi, incessamment écartelé entre Dieu et le diable, entre la raison et le charnel, entre le châtiment et le crime, et de l'autre côté : Aliénor d'Aquitaine, une femme au caractère fougueux, s'affirmant en toutes circonstances avec autorité. Avec de tels traits de caractère, le mariage entre Louis VII et Aliènor s'annonce comme une union entre l'eau et le feu !
L'auteure excelle également dans la description de l'époque moyenâgeuse où tout repose sur Dieu et l'Eglise. L'Eglise qui veut le pouvoir absolu. L'église qui manœuvre les rois. L'Eglise qui fait tomber les têtes. L'Eglise qui sanctifie par le feu. L'Eglise qui appelle aux croisades. L'Eglise qui engrange les richesses autres que spirituelles. L'Eglise qui a su se rendre indispensable en tout sous le prétexte d'être née d'une volonté divine. Ainsi Dieu est partout ! Tous les malheurs qui frappent la population sont de sa volonté ! Dieu est omniscient ! Dans sa blancheur tyrannique bienfaitrice, Dieu, tel un immense drapé immaculé, recouvre tous les pays d'occident, toutes les consciences, toutes les âmes où la moindre velléité de liberté religieuse est irrémé-diablement condamné au bûché !
On s'amuse aussi des intrigues, des complots, des tentatives d'assassinat, d'autant que l'essentiel tient de faits véridiques ou comment s'instruire en se distrayant. On prend le temps de flâner sous le soleil aquitain, le long de la Garonne où vins, fruits et poissons viennent régaler notre palais, tout en profitant des arabesques musicales que pléthores de troubadours viennent servir à nos oreilles. Cependant, en ce XIIème siècle, déchirant le rideau des futilités, quelques phrases résonnent : La folie des hommes seule était à blâmer. Ce siècle n'était fait que de barbarie. Tel un glas nous rappelant par-delà les siècles qui s'empilent, que l'Humanité continue de souffrir, inexorablement. L'Homme, en dépit des leçons de l'Histoire, reste un loup pour lui-même.
En dehors de quelques libertés d'un auteure qui veut un peu trop nourrir son premier enfant littéraire, Le lit d'Aliénor reste un honorable roman qui dessille nos yeux sur une période lointaine de l'histoire de notre nation, dont le héros est une femme, ce qui est si rare, qu'il serait stupide de vouloir passer à côté !