" Le crépuscule et l'aube " de Ken Follett 15/20
Une histoire de la mécanique de la haine et du pouvoir.
Quand les vertus de l'honnêteté se font broyer sous le joug autoritaire d'individus immoraux.
En l'an 997, issues de Norvège, de nouvelles attaques de Vikings viennent semer le chaos sur les côtes anglaises.
Durant les dix années qui vont suivre, le destin de deux hommes et d'une femme va s'entrecroiser : d'abord il y a le jeune Edgar, fils intelligent d'un constructeur de bateaux, qui voit sa vie basculer le jour où un raid viking détruit son village côtier de Combe et assassine son père ; ensuite il y a la belle et rousse Ragna, une jeune noble normande rebelle qui tombe en amour pour l'ealdorman de Shiring : l'anglais Wilwulf, mais les us et coutumes de son pays d'adoption auront vite fait de la déstabiliser ; enfin il y a Aldred, un moine idéaliste qui souhaite transformer son humble abbaye en un lieu de culture possédant une belle collection de livres. Au péril de leur vie, ces trois protagonistes s'opposeront à la corruption généralisée mise en place par l'autorité suprême des lieux : l'évêque Wynstan.
Ken Follett nous avait enthousiasmer avec Les piliers de la terre, paru en 1989 et signant ainsi le début de la saga Kingsbridge. Avec ce nouvel opus, il nous propose la préquelle de ce cycle.
Ce que Ken Follett sait faire, c'est mettre ses personnages dans un contexte historique précis, de les soumettre à des forces de coercition féroces et éprouvantes, puis de tirer les fils de l'intrigue jusqu'à ce que la grosse bobine soit entièrement vide. C'est avec ce même schéma qu'il a écrit ses quatre tomes de la série Kingsbrigde. Bien sûr, avec le temps, le lecteur est de moins en moins surpris parce que c'est toujours le même genre de personnages qui nous sont donnés de lire, à savoir : un constructeur ou un bâtisseur, un religieux et une gracieuse jeune femme, tous pétris de sentiments purs, tous en guerre contre l'inique. Seul change le fond historique car il y a toujours un décalage de deux siècles entre les oeuvres. Néanmoins, même si on a parfois la désagréable impression de lire le même livre, même si on devine facilement qui finira avec qui dans l'épilogue, la façon d'écrire de Ken Follett est tellement addictive, avec tous ses rebondissements et la lutte de ses personnages pour un monde meilleur, qu'il gagne malgré tout notre sympathie. Evidemment, une plume plus littéraire, des descriptions plus fouillées, une présence plus accrue des chefs vikings, auraient augmenté notablement la valeur intrinsèque de cet opus.
L'intérêt de cette lecture vient aussi de l'éclairage que l'auteur apporte sur cette période qui suit le déclin de l'Empire romain où la Grande-Bretagne régresse par la perte des connaissances. Après avoir connu les maisons de pierres des villas romaines, les anglais se logent dans des maisons en bois, d'une seule pièce... et sans cheminée ! Toute la science des céramiques romaines sombra aussi dans l'oubli. Et pire que tout : l'analphabétisme se généralisa ! Les 500 ans qui séparent la fin de l'Empire romain et le début du roman peuvent être comparés à une époque de ténèbres, une époque de déclin. Puis, sous l'influence des Normands, issus eux-mêmes en partie des Vikings, les choses vont enfin évoluer vers une période plus fastueuse avec en point d'acmé : les cathédrales. D'où, pour souligner la dégénérescence d'un pays avant son redressement le titre explicite de ce tome : Le crépuscule et l'aube.
L'auteur nous ouvre aussi les yeux sur la polygamie des anglais, très répandue chez une bonne partie de la noblesse, même si l'église ne voit pas cela d'un bon œil, les hauts personnages ne se privent pas de l'aubaine de profiter de plusieurs épouses. De surcroît, nous apprenons aussi que l'esclavage était légal dans l'Angleterre du Xème siècle. Principalement issus des prisonniers de guerre, notamment avec le Pays de Galles, des femmes et des hommes se retrouvaient ainsi sous la coupe d'individus fortunés qui avaient le pouvoir de vie et de mort sur ces pauvres âmes.
Avec sa verve intarissable, à travers cette société où les hommes d'influence sont pour la plupart corrompus jusqu'à la moëlle, Ken Follett nous offre une belle réflexion sur le pouvoir, ce pouvoir qui ne va pas sans son corollaire, à savoir la corrosion inhérente à la puissance toute subjective d'une fonction. Tout homme à responsabilités est-il inexorablement condamné, un jour où l'autre, sous l'influence d'un lobby quelconque ou sous son propre sentiment d'impunité, de faire le contraire de ce pourquoi il a été mis sur un piédestal ? La gangrène de la malhonnêteté est-elle nichée en chacun de nous, n'attendant que son heure pour se révéler ? L'Homme est-il impitoyablement condamné à n'espérer qu'en vain un âge où les loups auront disparu ? Les batailles entre le bien et le mal sont-elles éternelles ?
Si vous avez envie d'une prose qui se lit sans grande difficulté, d'une histoire où des stratégies de domination ou des manœuvres de survivance se mettent en place, d'un fond historique glaçant tout plein de méchants, et, d'un récit sinueux où l'amour triomphe après mille péripéties, n'hésitez pas, ce roman est pour vous. Alors bonne lecture !
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