4 juin 2021


 " Civilizations "   de Laurent Binet   18/20


       Vous qui souhaitez vivre un dépaysement total, ce roman est indéniablement écrit pour vous !


      Autour de l'an 1 000, à bord de son drakkar, Freydis, la fille d'Eric Le Rouge (celui qui découvrit le Groenland), met le cap au sud avec son mari, une poignée d'hommes, quelques têtes de bétail et des chevaux. 

      En l'an 1 492, Christophe Colomb ne découvre pas l'Amérique !

      En l'an de grâce 1 531, les Incas envahissent l'Europe, avec à leur tête : Atahualpa.

      En retournant littéralement le cours tranquille de l'Histoire, Laurent Binet nous offre un roman qui détonne et qui ouvre des perspectives insoupçonnées. En effet, qu'a-t-il manqué aux Incas pour résister aux Conquistadors ? Des chevaux, du fer et des anticorps. Dans cette uchronie bien maline, les Vikings, en prolongeant notablement leur circuit d'exploration, vont leur apporter les outils indispensables à leur survie en mettant pied à terre en Amérique, devançant ainsi de 500 ans ces mêmes Conquistadors. Ainsi, ils possèdent l'immunité, la technique pour fabriquer des armes en fer et les chevaux n'ont plus de secret pour eux. Par conséquent, la face du monde peut en être inexorablement bouleversée. Le jeu de cartes est rebattu, une nouvelle partie peut commencer. Ainsi, Atahualpa se confronte à Charles Quint, mais l'Europe de cette époque est un continent tourmenté et meurtri par d'incessantes querelles religieuses et dynastiques. Le chef Inca trouvera des alliés parmi une population opprimée et persécutée, au bord de l'insurrection.

      Ce renversement de l'Histoire nous donne une vision d'un autre monde possible, où il s'en est fallu d'un rien pour que cette possibilité l'emporte et devienne vérité. Tel l'effet papillon, un rien, un grain de sable, un vent contraire, peut donner une toute autre orientation à l'organisation de la vie, et basculer de ce fait dans une autre alternative, une autre mondialisation.

      L'esprit ironique de la plume de Laurent Binet se ressent tout du long du roman. Il s'amuse avec les personnages historiques célèbres en les confrontant à l'inimaginable, à l'incohérent. Il pétille de joie à nous casser nos certitudes. Il fait souffler un vent de folie sur nos vieux et poussiéreux bouquins d'Histoire. Il agrandit notre optique du monde. Il change l'horizon. Il est démiurge !

      De surcroît, malin comme un singe, l'auteur sait varier la façon de narrer, en effet, il utilise à plusieurs reprises la forme épistolaire, ce qui amplifie encore notre regard sur l'Europe du XVIème siècle. De plus, les Incas appellent la religion catholique : la religion du Dieu Cloué, car indubitablement changer de point de vue, cela inclut aussi une modification du lexique ; de même les Aztèques deviennent les Mexicains, nom qu'ils se donnaient eux-mêmes. Ah quoi toute l'Histoire du monde tient-il ?

      Ce roman est aussi une belle réflexion sur le poids de la religion, de son imprégnation dans nos sociétés, sans oublier le rôle prépondérant de nos hommes de pouvoir et de leur prise de décisions. Civilizations est une fresque à la fois vertigineuse, intelligente, pertinente et abrasive, qui redessine nos cartes géopolitiques pour notre plus grand plaisir. Somme toute, un livre foncièrement universel, quoi demander de plus ?


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