29 oct. 2021




 " Une exécution ordinaire " de Marc Dugain   15/20


      D'emblée, l'idée générale qui émerge puissamment du livre touche au mépris de la vie humaine, à l'image du communisme sous Lénine puis sous Staline : au début ils ont assassiné pour de mauvaises raisons, puis sans la moindre raison, dans une paranoïa folle et inextinguible, les morts appelant les morts, comme l'argent appelle l'argent. Marc Dugain n'a pas son pareil pour nous faire percevoir la peur quotidienne qui planait en permanence au-dessus de la tête de millions de russes, telle une épée de Damoclès n'ayant besoin d'aucune raison pour frapper.

      Le deuxième concept concerne le sentiment de claustrophobie, d'abord niché au cœur d'un texte qui étouffe son lectorat par une impression de perdition. En effet, en dehors d'une première partie assez courte qui nous raconte qu'en 1952, une femme médecin est requise auprès de Staline afin de le soulager de ses douleurs grâce à ses dons de magnétiseuse, les parties suivantes sont bien mystérieuses, elles nous parlent d'un recrutement par des officiers hauts gradés du KGB dans les années 80, avant de bifurquer en l'an 2000 vers un couple en décomposition, puis de refaire un petit virage vers le passé, soit en 1999, autour des luttes de pouvoir qui ont conduit à l'éviction de Boris Eltsine. En vérité, il faut patienter jusqu'à la moitié du livre pour voir les différentes pièces se mettre en place et composer, ainsi, une sorte de récit familial étalé sur trois générations. Procédé d'écriture assez complexe pour nous servir une pièce maîtresse de choix, soit le naufrage du sous-marin nucléaire russe : le Koursk, accompagnée de tout le contexte post-soviétique entourant une autre pièce de choix : Vladimir Poutine. On ressent à nouveau ce sentiment de claustrophobie en observant toute cette société russe, de Staline à Poutine, asphyxiée par un pouvoir politique et idéologique sans borne. Enfin, le sentiment d'enfermement jailli de manière empathique auprès des sous-mariniers du Koursk, abîmé dans les profondeurs accessibles de la mer de Barents, et que Poutine laisse volontaire mourir pour éviter des témoignages gênants.

      Ainsi, Marc Dugain brosse un portrait très documenté de la Russie d'aujourd'hui et de celle d'hier sans complaisance. A travers ses personnages fictifs ou pas, une vérité se dessine. Mais en Russie, il y a tant de vérités qu'il serait vain d'être péremptoire avec sa propre vérité. De surcroît, toute nouvelle vérité chasse l'autre, surtout si elle est celle dictée par l'Etat. De même, en écrivant ce livre, l'auteur nous donne-t-il sa vérité ou la vérité réelle, qui peut être la même d'ailleurs ? Chacun n'a-t-il pas la sienne ? La vie n'est-elle pas la somme d'une effarante multitude de vérités ? D'ailleurs, ce roman où les noms sont savamment modifiés, où certains personnages sont fictifs, où des faits sont interprétés et réinterprétés, est-il une représentation de la vérité ou juste son image reflétée par le pouvoir du miroir des mots ?

      Au risque de me répéter, la réussite de ce roman prévaut par la valeur de la vie sous le communisme soviétique et même après. Car dans un pays où la vie ne vaut rien, la mort peut s'apparenter à une sorte de libération, un arrêt à toutes sortes de souffrances, physiques ou psychologiques, une délivrance.

      Si le lecteur réussi à braver l'entrave d'une narration alambiquée, et s'il possède une petite connaissance de l'histoire politique russe, il appréciera la construction de l'oeuvre qui devient franchement captivante au fil des pages. Dans le cas contraire, vaut mieux être masochiste ou s'abstenir !


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