" Le géant enfoui " de Kazuo Ishiguro 15/20
En Angleterre, durant le Moyen-âge, toutes sortes de superstitions se répandent dans le pays. Là, vivent Axl et Béatrice, un vieux couple dont les années n'ont pas eu raison de leur amour. Cependant, leurs propres souvenirs baignent dans une brume aussi épaisse que celle qui vient régulièrement caresser les montagnes et les vallées de leurs paysages. Mus par un étrange désir ou un sombre pressentiment, ils décident de traverser le pays afin de rejoindre leur fils unique qu'ils ont perdu de vue depuis des années. Dés lors, ils s'engagent dans un étrange voyage, au frontière de la raison et du fantastique.
Kazuo Ishiguro nous propose de suivre le parcours d'un couple respectable, au premier abord, un couple qui oublie tout à travers une épopée miniature mais inoubliable.
En confondant le petit et le géant, le village et le pays, la paix et la guerre, Kazuo Ishiguro joue avec l'échelle de la dimension, telles des fractales, pour symboliser l'immuabilité des relations entre les hommes et entre les sociétés. Peu importe l'époque, l'Homme sera toujours irraisonnable et donc suicidaire, on en a la preuve tous les jours sous les yeux. Nous sommes voués à disparaitre en tant qu'humanité, pourtant rien ne change, rien ne bouge si ce n'est dans l'épaisseur du trait. La bêtise toute puissante régit le monde, même chez ceux qui croient savoir et qui ne sont que des pitres aux yeux de l'infini.
Ce livre est envoûtant, du moins je l'ai ressenti ainsi. Je le vois et le considère comme un conte pour adulte. Il brasse avec intelligence et délicatesse le thème de la mémoire, le souci de la perdre, mais aussi et parfois, l'inquiétude de la recouvrer. Belles réflexions également sur le pardon et la vengeance, sur les soubresauts de la vie face à l'idéalisation de l'amour inoxydable.
D'aucuns pourront être désarçonnés par le roman, en effet, le brouillard amnésique dans lequel évolue Axl et Béatrice s'élargit aussi au texte, à l'histoire propre, car toutes les péripéties narrées ne sont pas expliquées. Effectivement, il règne une certaine nébulosité, néanmoins, il faut savoir perdre pied, se laisser prendre par la main pour vivre ce voyage pleinement, peut-être pour se découvrir soi-même et ainsi avoir la volonté de ne pas fuir ce miroir tendu. De surcroît la plume est belle, légère et subtile.
Sans chercher les rebondissements incessants de l'intrigue, Kazuo Ishiguro avance en douceur, à son rythme en un langoureux bercement. Ce cheminement faussement indolent creuse un sillon jusqu'au plus profond de nous-même, là où est enfouie la bête que chacun porte en soi, éternellement refoulée jusqu'au jour où les conditions extérieures créent un cocon idéal pour que le monstre sorte de son alcôve.
Par petites touches envoûtantes, aux frontières entre légendes arthuriennes et conte philosophique, ce roman verse dans l'universel puisque chacun a son géant enfoui.