" Un jour viendra " de Guilia Caminito 19/20
Accroché aux collines des Marches, sur la côte Est italienne, se situe le village de Serra de' Conti. Là, vivent Lupo et Nicola, deux enfants nés d'une famille nombreuse, pauvre et où l'amour familial fait cruellement défaut. Voyant son petit frère, fragile et inadapté à la vie rude de tous les jours, Lupo se donne pour objectif de protéger Nicola, l'enfant au doux visage de prince. Le duo devient trois le jour où Lupo apprivoise un louveteau qu'il sauve de la mort. Ainsi, armés de leur affection inébranlable, ils seront mutuellement un soutien l'un pour l'autre. Malheureusement, des tensions sociales règnent dans le pays où des inégalités criantes apparaissent entre les régions. Républicains, pacifistes, socialistes et anarchistes se partagent en lutte de pouvoir, l'instabilité demeure, de surcroît, un conflit mondial se profile à l'horizon. Rien ne va plus.
Quelle heureuse idée des éditions Gallmeister de ne plus se cantonner aux Etats-Unis, ainsi cette histoire italienne n'a pas à frémir de la comparaison avec les plumes américaines. La meilleure impression de ce récit est issue de cette langue à la fois rugueuse et charnue, toute belle de fulgurances passionnées et lyriques. Cette parole qui reflète l'âpreté de la vie d'alors. On en redemande !
De surcroît, Guilia Caminito entremêle avec maestria les histoires personnelles avec celles de l'Histoire en marche. Lupo et sa fratrie ne sont que des polichinelles ballotés par le vent d'un monde qui vacille sur ses fondations. Quand des idées de liberté et d'anarchisme naissent dans l'esprit de Lupo, l'état italien, ivre de sa suffisance, laisse ses fusils répondre. Et que dire de Soeur Clara, l'abbesse du couvent qui domine Serra de' Conti, une jeune femme noire enlevée à son Soudan natal lors de son enfance, et qui saura, sous le joug d'une église autoritaire, savoir se faire aimer par la force d'une opiniâtreté à toute épreuve. Ce même monastère qui cache derrière ses séculaires murs de pierres un secret honteux qu'un lecteur attentif parviendra à résoudre avant sa révélation, mais peu importe, l'essentiel n'est pas là. L'essentiel est dans le chamboulement d'une narration qui procède par petites touches, ici ou là, pour qu'au final un tableau digne des plus grands peintres surgisse.
Et n'oublions jamais qu'une nation qui n'écoutent pas son peuple fait inexorablement le nid d'esprits révolutionnaires, qui, à force de frustrations et d'exacerbations pavent l'horrible voie du totalitarisme ou du fascisme, ce qui est le même, dans le cadre de ce récit.
A la fois tragique et bouleversant, inspiré de nombreux faits historiques, la réverbération de ce roman est amplifiée grâce à une plume magistrale. A lire pour tous les amoureux des livres d'exceptions.