9 nov. 2022

 


" Tristesse de la terre "   de Eric Vuillard   14/20

       Une nation construite dans le sang.

      Dans les années 1880, figure incontournable de la conquête de l'Ouest, Buffalo Bill, de son vrai nom William Cody, a su faire fructifier sa propre légende en créant et mettant en scène le légendaire Wild West Show, où un public nombreux pouvait voir la reconstitution en différents tableaux vivants de l'histoire du Grand Ouest, avec notamment de célèbres batailles qui opposaient l'armée américaine aux tribus indiennes. A l'époque, les foules se bousculaient pour profiter de cette attraction itinérante qui alla des Etats-Unis jusqu'en l'Europe, comme à Paris, Londres, Nancy ou Marseille. Finalement, Philippe de Villiers n'a rien inventé avec ses spectacles du Puy du fou, un siècle plus tôt Buffalo Bill fut le pionnier avec ce concept de Show-business grand attracteur de foules.

      A mi-chemin entre essai et roman, Eric Vuillard nous décrit la vérité qui se niche derrière les décors de carton-pâte. C'est-à-dire celle d'indiens humiliés et martyrisés, qui pour gagner leur vie, depuis que leurs terres leurs ont été volées, sont contraints de jouer les figurants dans des scènes de combat irréalistes par ceux-là mêmes qui les en ont chassés. Peuple doublement exploité et exhibé par une société blanche qui broie tout ce qu'elle touche. Et encore, si les exhibitions relevaient de la vérité, mais non, tout est truqué, manipulé, les tueries dignes de massacres contre l'humanité se transforment en lutte acharnée, les batailles gagnées par les indiens se transmutent en effroyables défaites, rien n'est vrai, on touche au révisionnisme, tout est arrangé pour abonder dans le sens du public qu'il faut chérir et qui ne demande pas mieux que d'insulter ces pauvres peuples inadaptés à un XIXème siècle industriel que rien n'arrête. Martyres d'un génocide, ils n'auront jamais le droit à la parole, et qui jugera leurs bourreaux ? A une époque où on déboulonne les statues, la question se pose.

      A noter que le célèbre Sitting Bull, après bien des tractations, fit lui aussi partie de ces représentations fallacieuses où voir l'indien haï constituait le fantasme ultime. Ainsi la soi-disant vérité historique est toujours écrite par les vainqueurs.

      Derrière cette critique acerbe de la société du spectacle se délectant d'un simulacre du passé, Eric Vuillard insiste sur l'inqualifiable extermination d'un peuple adapté à son environnement, par une société aveugle, influente et mercantile ; et même, lorsque les objets si particuliers de ces peuples furent exposés dans les musées, il faut savoir que leurs majorités furent dérobés sur leurs cadavres. Ainsi, l'auteur remet l'église au centre du village et cela honore la mémoire de ces peuples indiens, disparus sous la pression d'une immigration sans morale.

      Dans un style sec, parfois aride, Eric Vuillard déploie ce court essai romancé. J'aurais apprécié une biographie plus ample de Buffalo Bill, avec une évocation de sa jeunesse et de ses massacres de bisons qui sont justes évoqués vaguement, comme-ci cette hécatombe ineffable ne changeait rien aux propos. Sans oublier un dernier chapitre qui tombe comme un cheveu dans la soupe, aucun rapport avec le sujet, bizarre ! Petits regrets, malgré tout ce texte donne suffisamment à réfléchir, et c'est bien là l'essentiel.


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