22 juin 2023


" Toute la lumière que nous ne pouvons voir "   de Anthony Doerr   17/20

  

      Touchant destin de deux adolescents otages de leur époque.

      Intelligent et sensible.

      En 1934, Werner Pfennig, 8 ans, est un orphelin allemand aux cheveux blancs, élevé par une religieuse protestante d'origine alsacienne. Il vit dans la Ruhr, ce pays d'acier et de charbon, criblé de cheminées fumantes telles des locomotives. Promis au terrible travail de la mine, le petit homme développe une curiosité précoce pour les postes de radio qu'il s'amuse à démonter et à remonter, parvenant même à capter une lointaine voix française, toujours suivie du Clair de lune de Debussy. Werner est instantanément séduit par ce qu'il entend. Ses talents ne vont pas passer inaperçus dans l'Allemagne du Troisième Reich, toujours enclin à dévorer ses enfants prodiges. Werner rejoindra la Wehrmacht, où ses connaissances en transmissions électromagnétiques seront idéales pour repérer les radios des partisans du front de l'Est, puis partout ailleurs.

      De l'autre côté de la frontière, à Paris, vit Marie-Laure Leblanc, la fille du serrurier du muséum d'histoire naturelle. Frappée de cécité à l'âge de 6 ans, l'adolescente a su trouver ses marques dans l'appartement familial, puis dans le quartier, grâce aux maquettes réalisées par son père reconstituant ce même quartier en modèle réduit. Malheureusement, ce fragile bonheur sera bousculé par l'approche des troupes allemandes, ils seront contraints de se réfugier chez un grand-oncle habitant Saint-Malo. Là, pour échapper à un monde en perdition, Marie-Laure se plongera dans la lecture en braille de Vingt-mille lieues sous les mers, avant de confier sa candeur à la Résistance locale.

        Toute la lumière que nous ne pouvons voir, ce titre est des plus engageant, à la fois mystérieux et généreux, renvoie au spectre très étendu de la lumière, aux ondes radios. Cette même radio qui est le cœur du roman, un cœur qui bat d'amour, mais aussi d'espoir dans un retour à un monde plus assagi, un monde en paix.

      En suivant le destin d'une jeune aveugle et d'un petit orphelin, Anthony Doerr nous plonge dans les bourrasques de l'Histoire, certes, mais où les péripéties ne suivent pas forcément des rebondissements attendus, et où plusieurs niveaux de lectures s'offrent à nous. Ainsi sous sa plume, la guerre est surtout constituée d'une myriade d'histoires minuscules, reliant les hommes, les femmes et les enfants par d'invisibles fils qui font tout le ciment de la vie. Là encore, prétexte pour nos conter ces innombrables lumières essentielles non perçues par l'œil.

      Autour de Marie-Laure et de Werner, toute une constellation de personnages secondaires et attachants vient rendre de l'humanité à ce monde qui en manque tant : Le père de la jeune aveugle, prêt à tout pour lui faire oublier son handicap ; la sœur de Werner, une fille insoumise qui saura rester digne même sous l'horreur nazie ; un frêle adolescent passionné par le monde des oiseaux, dont le caractère rêveur ne peut s'adapter aux exigences du Reich ; un grand-oncle mystérieux et misanthrope qui ne pourra résister à la douce et touchante personnalité de Marie-Laure. D'ailleurs qui de nous, lecteur, pourra rester de glace face au courage fou de ce petit ange aux yeux éteints ?

      Il y a beaucoup d'émotions qui traversent ce roman, beaucoup de beauté, beaucoup de poésie, beaucoup de dignité, beaucoup de lumière, il le fallait car derrière cela, un mur d'atrocité est érigé, toujours en arrière plan, mais si présent : la terrifiante face obscure de l'humanité.

      Mon seul grand bémol vient de la volonté de l'auteur de vouloir tout raconter en même temps, ainsi il s'autorise une infinie multitude de flash-back, cassant le rythme du récit, mais surtout spoliant tout un pan de l'histoire. Honnêtement, cela m'a gâché mon plaisir, une narration avançant chronologiquement aurait grandi encore un peu plus le récit, mais voilà, on bouscule tout pour faire moderne, pour faire dans le coup.

      Avec ses romans, Anthony Doerr fait dialoguer l'imagination, les sciences et la mémoire, il nous propose une réflexion profonde sur le destin et sur le libre arbitre, comme l'un des moyens de sortir de nos coquilles d'anatifes et de s'ouvrir à un monde où tout reste à bâtir pour atteindre cet âge d'or si lointain, si lointain, qu'il en devient une quête illusoire.

      

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