15 nov. 2023


 " Crépuscule "   de Philippe Claudel   18/20

      Au début du XXème siècle, la petite ville de Crépuscule est située au Nord Est de l'Europe, le climat y est très rude, surtout en hiver. Un beau jour, le curé y est retrouvé mort, le crane fracassé à coup de pierres. Les habitants sont sous le choc, pensez donc : oser s'attaquer à l'une des autorités du petit bourg. Une enquête est menée par deux policiers, un binôme très mal assorti : Nourio, le chef, un homme au corps rachitique et aux pulsions sexuelles incontrôlables, et son adjoint, un colosse un peu simple mais d'une extrême gentillesse. Plus l'enquête a du mal à progresser, plus les autorités régionales font comprendre à Nourio qu'il serait souhaitable que l'assassin fasse partie de la communauté musulmane de la ville, peu importe la vérité, accusé un musulman permettrait de chasser sa communauté de la ville.

      Philippe Claudel est le genre d'écrivain qui est persuadé que la fiction est sans nul doute le meilleur moyen pour faire comprendre la réalité à ses lecteurs, celle qui nous crève les yeux tous les jours, mais que l'on peut esquiver facilement. Ici, pas moyen d'y échapper, on y est plongé corps et âme. Ainsi, le processus de fabrication d'un bouc-émissaire coule de source : chacun accusant celui qui est d'ailleurs, celui qui ne vit pas comme nous, c'est bien connu, il ne peut être que le responsable de tous nos malheurs du monde. Pascal ne disait-il pas au XVIIème : Mieux vaut une erreur commune qu'une vérité mal partagée ". Ce roman ne raconte pas une basique enquête  policière conventionnelle, il narre la mise en place d'une contre-vérité. Mécanique qui existe depuis la nuit des temps et qui est malheureusement éternelle. Dans l'actualité, la proclamation de fausses vérités alimentent jour après jour notre quotidien. Que de temps perdu à rétablir la vérité quand un simple mensonge fait instantanément le buzz sur les réseaux sociaux. Le dessein premier étant de trouver un ennemi commun pour souder le collectif. Une belle manipulation dont les manipulés ne se rendent compte de rien ou si peu. Sans jeu de mot, Crépuscule remet l'église au cœur du village et nous permet de voir derrière le rideau des illusions la vérité pure, celle qui brûle du désir d'être enfin vue.

      Il s'agit avant tout, non pas d'une banale parabole politique, mais d'une exploration fouillée de la nature humaine avec son âme toute noire, toute souillée par ses petitesses, ses mesquineries et ses médiocrités les moins avouables. En effet, dès que le temps se gâte la morale n'existe plus : un pour tous et chacun pour soi, l'individualisme est roi, la bêtise aussi.

      La plume de Philippe Claudel met en relief ce récit à l'allure de conte, il déploie un beau talent descriptif, tel Le mufle de la tempête qui déboulait de l'intérieur des terres.

      Un grand roman qui casse le miroir des conventions, histoire de ne pas lire idiot.

      

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