28 juin 2014




" Un ciel rouge, le matin " de Paul Lynch  13,5/20


Printemps 1832, Coll Coyle, jeune métayer au service d'un puissant propriétaire terrien anglais, apprend qu'il est expulsé avec femme et enfants de la terre qu'il exploite. Légitimement, Coll cherche à en savoir plus auprès du fils du domaine, mais l’entretien s'envenime et accidentellement, Coll le tue. Désormais son seul salut est dans une fuite éperdue, car Faller, le cruel et sanguinaire contremaître de la maison, le recherche furieusement. Une chasse à l'homme se met en branle qui les conduira jusqu'en Pennsylvanie, aux Etats-Unis.

Premier roman d'un jeune auteur irlandais non dénué de talent, qui nous propose, tiré d'une histoire dramatiquement vraie, une ballade irlandaise impitoyable.

En cette première moitié du XIXème siècle, dans cette rude et rustre Irlande, un méphistophélique destin s'amuse à écorcher la vie d'un brave homme, qui devant l'iniquité de son expulsion, ira d'incompréhension en désolation, comme une mise en écriture de la cinquième de Beethoven ; oeuvre broyante s'il en est.

Divisé en trois parties, ce récit débute sur le sol du comté de Donegal dans l'Ulster où dire qu'il pleut relève du pléonasme, se poursuit avec une traversée de l'atlantique-nord dans des conditions dantesques, pour s'achever en pleine Pennsylvanie, où sur le chantier du futur chemin de fer, des hommes suerons eaux et sangs, en rêvant à un hypothétique avenir plus heureux.

Vision effroyable de ses premiers migrants irlandais fuyant un pays natal qui ne peut plus rien leur offrir. Ils s'échineront à tenter de construire une vie nouvelle outre-mer, dans cette Amérique  fantasmée où faire sa place au soleil, sera synonyme de nouveaux combats.

Cette oeuvre rugueuse où seules les fioritures de la nature esquissent un semblant de douceur, nous confronte à une réalité noire et historique qui sert de point d'arrivée à ce récit : En 2009 dans les environs de Philadelphie, eut lieu l'exhumation des restants de 57 cadavres d'ouvriers du rail irlandais, certains étaient décédés d'une épidémie de choléra, d'autres avaient été bestialement assassinés, ils étaient tous originaires d'un même village du comté de Donegal.

Le ciel, très présent dans ce roman, par ses couleurs diaprées et ses aspects menaçants, semble décrire les états d'âme de ce misérable Coll Coyle, assommé par sa vie de souffrance.

Roman épique et inéluctable d'une chasse à l'homme, où cette terre dite de " liberté " s'ouvrira comme un enfer de plus pour nos valeureux travailleurs du rail, et finira par les engloutirent tous, corps et âmes, consommés puis digérés par une société mutante, donc anthropophagique, car en 1832, le monde est aux prémices du grand chambardement que sera l'infernale révolution industrielle.

Paul Lynch est né dans l'Ulster, cela se ressent presque physiquement à la lecture, il est fier d'être un fils du vent et de la pluie, et de ce fait, ne peut s'empêcher de décrire la nature dans tous ses états, d'accord il possède une belle langue riche, innovante et poétique, bref, finement ciselée, mais au détriment d'un récit qui manque parfois de complexité, et qui laisse au final quelques personnages importants dans un flou gênant. Aurait-il délibérément mis plus en exergue son style que son histoire ?

Autre bémol : l'absence totale de différenciation entre le texte de fond et les dialogues des personnages, ce qui amène quelques confusions de compréhension, dommage, mais je concède à ce jeune auteur de 37 ans, qu'il s'agit sans doute d'une volonté de marquer son territoire, bref, sa signature, son identification.




21 juin 2014




" Au coeur des ténèbres " de Joseph Conrad 15/20


Cette grande nouvelle servira à Francis Ford Coppola pour réaliser le film qui lui valu d'ailleurs la palme d'or à Cannes en 1979 : " Apocalypse now ".

L'histoire tient en peu de mots : A la fin du XXème siècle, afin de découvrir l'Afrique, un homme nommé Marlow, se fait embaucher par une compagnie commerciale dans le but de rentrer en contact avec l'un des meilleurs chasseurs d'ivoire de cette entreprise, un certain Kurtz (niché au coeur du fleuve Congo), dont personne n'a de nouvelles depuis bien trop longtemps. 

Au fil de la remontée du fleuve, quand la forêt dense et tropicale hypnotise puis glace le voyageur par son oppressante présence, une allégorie se dessine, comparant cette navigation vers la source comme un voyage dans le temps, celui du temps des premiers hommes, celui de la sauvagerie d'un monde ancien où tout n’était qu'instinct et barbarie.

Avant son arrivée en Afrique,  Kurtz était un homme cultivé doublé d'un musicien remarquable, mais cette nature vierge et la population autochtone agira comme un révélateur sur sa personnalité profonde. Remontant du tréfonds de sa conscience, tout un monde de ténèbres qui sommeillait, en attente d'une noire sollicitation.

Ce continent d'exotisme, de mystère, de violence et d'incompréhension, pour celui qui n'y est pas né, finira par métamorphoser Kurtz en dément démiurge, qui ira jusqu'à vouloir se faire idolâtrer comme un dieu.

Les noirs y sont décrits comme des bêtes apeurées, soumis à une exploitation totale de la part de blancs qui, eux-mêmes, sont impressionner par cette population sauvage peut-être maléfiques voire anthropophages. 

Pèlerinage cauchemardesque, rencontre fatale d'une noirceur abyssale, où l'homme blanc comme l'homme noir, sans le moindre artifice, se confronte inévitablement à lui-même, à ses instincts les plus basiques, les plus sauvages, dans cet univers de ténèbres.

On peut y voir aussi une dénonciation des dérives de la colonisation : un grand mépris aboutissant à une forme d'esclavage, une exploitation outrancière des terres et de la faune, bref un prosélytisme civilisateur, qui engendrera violence et folie.

Il ne s'agit surtout pas d'un livre facile, rien n'est évident à la première lecture, mais cette écriture lourde et sombre qui joue souvent l'esquive et qui colle aux yeux du lecteur, suggère plus qu'elle ne dit, d'où la nécessité d'un petit travail de reconstruction, mais l'essentiel ici est dans cette ambiance poisseuse, glauque et malsaine, cette expérience s'identifie assurément à une entrée : " Au coeur des ténèbres ".

Au final ce roman se positionne comme une réflexion des plus fondamentale : L'homme s'est-il vraiment affranchi sous le couvert d'une société dite civilisée de tous ces instincts ancestraux les plus noirs ?

Vaste question philosophique !




16 juin 2014


" Naissance "  de Yann Moix  13/20.



L'auteur revient sur sa naissance, la réinvente, la surinvente, la torsionne, la distorsionne, la digresse, la burlesquise, l'ironise, l’horrifie, la pamphletise, bref en fait une oeuvre qui aspire à tout, sauf à l'indifférence.

Dès l'incipit, le ton est donné : " J'allais naître. Pour moi l'enjeu était de taille. Si c'était à refaire, je naîtrais beaucoup moins, on naît toujours trop ! "  On n'en ressort que 1143 pages plus tard, certes déconcerté, épouvanté et décoiffé, mais heureux d'avoir rencontré la patte acéré d'un vrai écrivain.

Comme au travers d'un prisme, tout sujet y est déformé, gonflé, métamorphosé, ratatiné, haché, décomposé. Il sourd, au-delà des mots, comme la joie perverse d'un auteur jouissant de sa création.

L'exagération, l'outrance est partout, elle suinte, dégouline de toutes les pages, telle la sueur du visage exténué d'un marathonien. Sans vergogne il tape dur sur nos certitudes, on rit, on s'énerve, on s’horrifie, mais on s'amourache de phrases magiques de puissance, d'inconvenance, de logique et d'irrespect.

Il faut lire ses portraits de Brian Jones, de Charles Péguy, d'André Gide, de Georges Bataille, où sa plume bouleversent les mots, les réinventent. D'ailleurs, ce roman est bourré de textes écrits comme de véritables sketchs qui pourraient être joués sans honte par certains comiques.

Pour dynamiter de l'intérieur les familles, c'est un maître, un expert, mais immanquablement des questions taraudent le lecteur : 
Où est la part de vécu dans tout ce foutoir ?
Comment de telles folies ont-elles pu germer dans son cerveau ?
A quoi est due une imagination aussi fertile ?

Roman aussi jubilatoire qu’affligeant, qui pourrait faire passer son auteur pour un génial inventeur ou un fou furieux, tel un psychopathe !

Néanmoins, l’excès d’éloquence, les innombrables énumérations de plusieurs pages, la noirceur abyssale de certains personnages, peuvent définitivement finir par lasser. 

Le principal défi reste l'impression tenace d'inviolabilité qui assaille le lecteur, en effet, cette oeuvre littéraire n'est autre qu'une montagne, que dis-je, un Everest, dont l'infranchissabilité saute vite aux yeux.

Aux premiers abords, c'est comme pénétrer dans une jungle inexpugnable, au deuxième aussi d’ailleurs, tant la densité de la plantation des mots côtoie celle de Tokyo!

Si telle aventure vous sied, armez-vous d'un coupe-coupe bien affûté, puis, le courage en guise de carapace, entrez vaillamment dans cette forêt tropicale où d’innombrables dangers vous attendent, bien tapis à l'ombre de phrases absconses, amphigouriques, coupées d'invraisemblables césures, piégeuses voire boustrophédoniennes. 

Vous qui aurez l'impudence de vous y aventurez, soyez assurés de mes sincères encouragements, car tant de gens y ont vaillamment ou lamentablement échoué !
Je connais certaines personnes qui n'ont pu dépasser la dixième page, quelle amertume!

Moi-même j'ai mis 6 mois pour vaincre ce mastodonte, et me sortir de cette ornière de phrases pièges, et encore, j'en garde des traumatismes inavouables mais bien réels !

A mes amis, ce livre devrait être vendu avec la mention tabatière : " Nuit gravement à la santé mentale ! ". C'est pourquoi, je l'ai assimilé par petites touches, une bouffée par ici, une taf par là, et pas plus d'un quart d'heure par jour.

Afin de vous donner de quoi mâchonner, voici ce que je pourrais écrire de Moix à la manière de Moix : " L'agressivité, c'est une nature, la violence, c'est un art. Moix n'est point haineux, Moix est haïssant. C'est l'aigreur des autres qui a peint Moix en aigri, Moix est un empêcheur de révolutionner en rond : Moix révolutionne au carré. Le style Moix mélange les apoplexies nombrilistes et les confins du cosmos politique. C'est de la philosophie appliquée, de la science universelle du moi. Moix est un détonateur qui écrit, avec la ferme volonté d'outrer la notion d'outrance, d'aller au-delà de l'au-delà."

Si l'envie de vous engager sur la voie vertigineuse de cette douce folie vous restait chevillée au corps, je vous prodiguerais de fort encouragements, puis glisserais, juste avant l’inéluctable : " Pauvre fou, soyez sûr d'une chose, vous n'en sortirez pas indemne ! "





9 juin 2014


Feux de Juin.


En cette exceptionnelle fin de matinée de juin, un soleil incendiaire règne en monarque absolu sur mon espace vert. La puissance insolente de sa clarté fait bénir le moindre petit coin ombragé.

Partout la sève bouillonne en festivité volcanique, quantité de parfums s'épanchent sans vergogne dans l'air surchauffé : débordant ici d'une glycine philanthrope ou là d'un sureau bienfaisant, dans cette nature en effervescence, tout vibre, tout frétille, tout déborde, tout s'enfièvre, tout s'enflamme, face aux électrisant feux solaires.

Cette fougueuse agitation bruisse à mes oreilles comme une suave caresse auditive.

Trop rarement, l'ombre d'un tout petit nuage galopin et chahuteur, vient valser sur cet océan de verdure.

Cette prodigieuse dépense de rayons, telle une coulée intarissable d'or fluide, inocule un sentiment d'extase à tout le monde des vivants.

Écoutons ce faux-silence de la nature heureuse, agrégat harmonieux de mille musiques : piaillements d'oisillons affamés dans les nids, bourdonnements joyeux d'abeilles en plein travail, discrète palpitation du vent, roucoulements hystériques sous les feuillages, chants émerillonnés de myriades de fleurs, doux murmure de l'herbe qui pousse, fragile mélopée du sol ; incarnant le chant de la terre avec un chœur de vers au coeur du vert !

Le flamboyant disque solaire, empourpre et allume les tulipes, qui se métamorphosent en variété de flammes, incendiant le décor, autour d'elles virevoltent les abeilles, véritables étincelles vivantes de ces fleurs de feu.

N'importe où, d'innombrables papillons blancs sont comme des billets doux que les fleurs s'échangeraient.

D'ores et déjà le ciel se convertit en nappe bleue, la terre en nappe verte, la table est mise, c'est l'heure du déjeuner !

Des hirondelles gourmandes tournoient dans l'éther tiédit, puis avec agilité, décrivent d’inouïes arabesques à la poursuite d'abondants et insouciants insectes volants ; gigantesque ballet aérien ravissant l'oeil le plus critique.

Le chardonneret trouve de la stellaire, le pinson de l'orge, le rouge-gorge des vers, l'abeille de la consoude, la mouche des infusoires, le passereau des mouches,  les coccinelles des pucerons, les pucerons la sève des plantes, les plantes les sels minéraux et oligo-éléments du sol, etc...

Il faut l’avouer, dans l'élan général on se mange bien un peu les uns les autres, ce qui est la loi de la nature après tout, mais ainsi, pas une petite bête ne jeûne !

Ici, tout aspire le bonheur simple de vivre, d'exister. L'orchestration et l'équilibre de l'ensemble dévoile une allégresse et une félicité universelles.

Gonflés d'une espérance nouvelle, le monde végétal et animal triomphent des morsures de l'hiver.

La silhouette de ma femme, assise au frais sous son châtaignier dans sa robe d'ombre trouée de lumière, médite de tant de beauté bucolique.

Soudain le souffle d’Éole fait tournicoter un essaim de poussière diaprée, comme pour balayer les miettes du repas.

Ô divin astre, merveille de la nature, soit remercié pour ce spectacle agreste.