16 juin 2014


" Naissance "  de Yann Moix  13/20.



L'auteur revient sur sa naissance, la réinvente, la surinvente, la torsionne, la distorsionne, la digresse, la burlesquise, l'ironise, l’horrifie, la pamphletise, bref en fait une oeuvre qui aspire à tout, sauf à l'indifférence.

Dès l'incipit, le ton est donné : " J'allais naître. Pour moi l'enjeu était de taille. Si c'était à refaire, je naîtrais beaucoup moins, on naît toujours trop ! "  On n'en ressort que 1143 pages plus tard, certes déconcerté, épouvanté et décoiffé, mais heureux d'avoir rencontré la patte acéré d'un vrai écrivain.

Comme au travers d'un prisme, tout sujet y est déformé, gonflé, métamorphosé, ratatiné, haché, décomposé. Il sourd, au-delà des mots, comme la joie perverse d'un auteur jouissant de sa création.

L'exagération, l'outrance est partout, elle suinte, dégouline de toutes les pages, telle la sueur du visage exténué d'un marathonien. Sans vergogne il tape dur sur nos certitudes, on rit, on s'énerve, on s’horrifie, mais on s'amourache de phrases magiques de puissance, d'inconvenance, de logique et d'irrespect.

Il faut lire ses portraits de Brian Jones, de Charles Péguy, d'André Gide, de Georges Bataille, où sa plume bouleversent les mots, les réinventent. D'ailleurs, ce roman est bourré de textes écrits comme de véritables sketchs qui pourraient être joués sans honte par certains comiques.

Pour dynamiter de l'intérieur les familles, c'est un maître, un expert, mais immanquablement des questions taraudent le lecteur : 
Où est la part de vécu dans tout ce foutoir ?
Comment de telles folies ont-elles pu germer dans son cerveau ?
A quoi est due une imagination aussi fertile ?

Roman aussi jubilatoire qu’affligeant, qui pourrait faire passer son auteur pour un génial inventeur ou un fou furieux, tel un psychopathe !

Néanmoins, l’excès d’éloquence, les innombrables énumérations de plusieurs pages, la noirceur abyssale de certains personnages, peuvent définitivement finir par lasser. 

Le principal défi reste l'impression tenace d'inviolabilité qui assaille le lecteur, en effet, cette oeuvre littéraire n'est autre qu'une montagne, que dis-je, un Everest, dont l'infranchissabilité saute vite aux yeux.

Aux premiers abords, c'est comme pénétrer dans une jungle inexpugnable, au deuxième aussi d’ailleurs, tant la densité de la plantation des mots côtoie celle de Tokyo!

Si telle aventure vous sied, armez-vous d'un coupe-coupe bien affûté, puis, le courage en guise de carapace, entrez vaillamment dans cette forêt tropicale où d’innombrables dangers vous attendent, bien tapis à l'ombre de phrases absconses, amphigouriques, coupées d'invraisemblables césures, piégeuses voire boustrophédoniennes. 

Vous qui aurez l'impudence de vous y aventurez, soyez assurés de mes sincères encouragements, car tant de gens y ont vaillamment ou lamentablement échoué !
Je connais certaines personnes qui n'ont pu dépasser la dixième page, quelle amertume!

Moi-même j'ai mis 6 mois pour vaincre ce mastodonte, et me sortir de cette ornière de phrases pièges, et encore, j'en garde des traumatismes inavouables mais bien réels !

A mes amis, ce livre devrait être vendu avec la mention tabatière : " Nuit gravement à la santé mentale ! ". C'est pourquoi, je l'ai assimilé par petites touches, une bouffée par ici, une taf par là, et pas plus d'un quart d'heure par jour.

Afin de vous donner de quoi mâchonner, voici ce que je pourrais écrire de Moix à la manière de Moix : " L'agressivité, c'est une nature, la violence, c'est un art. Moix n'est point haineux, Moix est haïssant. C'est l'aigreur des autres qui a peint Moix en aigri, Moix est un empêcheur de révolutionner en rond : Moix révolutionne au carré. Le style Moix mélange les apoplexies nombrilistes et les confins du cosmos politique. C'est de la philosophie appliquée, de la science universelle du moi. Moix est un détonateur qui écrit, avec la ferme volonté d'outrer la notion d'outrance, d'aller au-delà de l'au-delà."

Si l'envie de vous engager sur la voie vertigineuse de cette douce folie vous restait chevillée au corps, je vous prodiguerais de fort encouragements, puis glisserais, juste avant l’inéluctable : " Pauvre fou, soyez sûr d'une chose, vous n'en sortirez pas indemne ! "





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