27 sept. 2014


L'ambre de septembre.


Ô joli mois des vendanges loin du sobre,
Sur lequel Bacchus n'eut jeté l'opprobre.

Riche d'une foison de récoltes légumières,
Qui nous réconfortera chaudement, venu l'hiver.

Immuable offrande de la nature faite à l'homme,
Faut-il que nous soyons tellement gentilshommes ?

Ce mois copieux où la vie est clémente,
Douce à respirer, nullement véhémente.

Où le bonheur semble marié au silence,
Parenthèse si féerique, sans équivalence.

Un mois aux couleurs de miel et de cuivre,
Caressant nos yeux de nuances qui enivrent.

Où un dernier feu d'artifice de parfums évanescents,
Se déploie et irradie, aux confins de l'indécent.

Où sous l'accord tacite et légitime de l'équinoxe,
Le jour s'aligne sur la nuit, proposition orthodoxe.

Septembre annonce le crépuscule de l'été,
L'aube de l'automne avec douceur et habilité.

Ici s'étendent, sans rémission possible, les ombres,
Lasses d'avoir été esquivées tout l'été sans pénombres.

Bientôt je baguenauderai le long de sentiers, ceints de forêts en feu,
Assuré que ces nuances resteront pour les peintres, pures voeux.

Sous peu, la nomade hirondelle fuira ce ciel refroidi,
Nous laissant seuls, mélancoliques et abasourdis.

Désormais, la nuit noircit sans pitié mes petits matins,
Et grisaille d'ores et déjà, mes longues soirées de chagrin.

A peine profitons-nous des derniers feux du soleil nous habillant d'ambre,
Que déjà, silencieusement et perfidement, se profile à l'horizon : Octobre.


21 sept. 2014


" L'invention de nos vies " de Karine Tuil    17/20


Sam Tahar, brillant avocat au barreau de New York, semble tout avoir : la célébrité, la fortune, une femme stylée, deux beaux enfants... Mais sa réussite repose sur une imposture : afin de pouvoir débuter sa vie professionnelle, et devant l'handicap certain que son identité lui confère, il s'est fourvoyé en s'inventant des origines juives, inspirées de celle de son ami de jeunesse Samuel, un écrivain raté qui s'enlise dans ses écrits. Tous les deux sont fous amoureux de la belle Nina, mannequin de catalogue, qui par mansuétude, est restée depuis vingt ans du côté du plus faible. Mais, un jour, suite à une émission de télévision où apparaît Sam Tahar, Samuel décide de renouer les liens.

On est très loin de la sempiternelle histoire du triangle amoureux entre deux hommes et une femme, non ici ce qui interroge avant tout, c'est la question fondamentale de l'identité de chacun, et ce que l'on en fait tout de long de la vie. Se construit-on par rapport à ses propres désirs, ou modèle-t-on notre façon d'être en fonction du regard acéré et critique d'autrui ?   En allant plus loin, dans notre monde si exigeant et impardonnable : est-on prêt à vendre son âme au diable, pour avoir une chance d'exister, aux yeux des autres et des siens ?   Si oui, jusqu'à quel point est-on prêt à aller, pour se faire passer pour ce que l'on n'est pas ?    Quel est au final, le vrai prix à payer pour RÉUSSIR ?   Et en est-on vraiment heureux pour autant ?   Car le simple fait de ne pouvoir dire qui on est vraiment à son entourage, peut se vivre comme une faille de plus en plus douloureuse et insupportable.

Sam Tahar, lui, après avoir très brillamment fait ses études d'avocat, se retrouve esseulé sur le banc de touche du chômage, malgré un CV des plus irréprochables, alors où est le problème ?  Son vrai nom : Samir Tahar !   Son origine : Arabe !

Tout son malheur, vient de là : son identité. Mais un jour, enfin il est embauché, grâce à un quiproquo qu'il se garde bien d’éclaircir, trop heureux d'échapper enfin à une ségrégation inique. Il rentre ainsi volontairement, dans la spirale du mensonge. Qui naturellement, tel un fidèle boomerang, lui reviendra très violemment en pleine face, des années plus tard.

Ces mensonges pour se sortir d'un quotidien maussade, fondations de ce livre, ne sont pas sans me rappeler le magnifique roman de Philip Roth : " La Tache ", où un professeur de lettres classiques préfère démissionner, suite à des propos soit-disant racistes, plutôt que de prouver son innocence en avouant sa véritable identité.

Karine Tuil, nous démontre avec une maestria fort habile, la responsabilité du terreau familial dans notre construction d'être humain, puis les événements, les rencontres, les absences, les déceptions, se chargeront de poursuivre le façonnement de notre personnalité. Mais quand l'injustice probante, la partialité du monde, influencera trop nos vies, et qu'une probante suspicion d'inégalité s’inscrira dans notre mental, chacun à sa façon réagira suivant sa conscience : soit survivre en s'adaptant coûte que coûte, où s'en foutre, garder son intégrité et sa morale, et avancer à son rythme, mais avec dignité.

Des trois personnages principaux, personne n'en ressortira indemne, trop de cynisme, d'ambition personnelle et de désirs refoulés, emprisonneront et empoisonneront leur relation dans une mélasse méphitique. Mais pour la plus grande joie du lecteur, car ce roman, par sa grande puissance narratrice, nous aspire avec une grande avidité dans un tourbillon de lecture foudroyante et addictive.

Ce livre vaut également pour sa pertinente démonstration de l'effet papillon, initiée par la catastrophe du 11 septembre.

Juste un léger bémol pour le début du roman, qui s'ouvre sur une interloquante succession de phrases abstruses et stressées !   Je l’identifierais à un ballet de mots qui sans vergogne, dansent, virevoltent, se grimpent dessus, au grand détriment de notre basique compréhension, et je ne parle pas des abus du signe  "/" , qui surprennent et gênent la lecture. Mais cette déroutante entrée en matière, s’effiloche vite au fil des premières pages, pour laisser place à une frénétique, trépidante et vertigineuse histoire de recherche du bonheur !

Un roman enthousiasmant, terriblement d'actualité, qui questionne sur les différences et la moralité, bref, un livre qui concerne tout le monde, à lire sans mégoter !!!



15 sept. 2014



" La planète des singes " de Pierre Boule 16/20.


Nous sommes en 2500, Jinn et Phyllis, un couple de riches oisifs passent des vacances merveilleuses dans l'espace interstellaire. Nichés dans un petit vaisseau sphérique à voile, propulsé uniquement par la force des vents solaires, ils déambulent dans le vide poétique de l'univers. Un jour, un objet voguant au gré des forces gravitationnelles s'approche de leur astronef, il s'agit d'une bouteille ! Intrigués par ce que le hasard leur envoie, ils s'emparent du récipient de verre, et surprise, trouvent un petit manuscrit à l'intérieur !

Celui-ci écrit par un certain Ulysse Mérou, raconte l'histoire du professeur Antelle, d'Arthur Levain son second, et de lui-même journaliste, tous trois fonçant dans leur vaisseau spatial, à la recherche d'une planète habitée, et qu'ils finissent par dénicher, dans  le système de Bételgeuse " La Rouge ", à quelque 500 années-lumière de la terre.

Nos trois aventuriers n'en reviennent pas de la ressemblance de cette planète qu'ils baptisent " Soror ", avec la Terre. Ils aperçoivent d'abord ses océans, ses continents, ses villes, puis ses routes curieusement semblables à celles qu'ils connaissent sur Terre. Après s'y être posés, les trois hommes découvrent que la planète est habitée... par des singes. Ceux-ci s’emparent d'Ulysse Mérou et se livrent sur lui à des expériences telles que les humains en font avec les animaux. Il faudra que le journaliste fasse, devant ces singes, la preuve de son intelligence. Mais attention ces mêmes singes sont-ils tous prêts à admettre qu'une autre espèce leur dispute cette acuité mentale ? Et puis, quelles sont ces ruines disséminées sur la planète, qui n'indiquent en rien un passé simiesque ? D'autant qu'une poupée en porcelaine est retrouvée enfouie depuis des millénaires, sous des tonnes de sable !

De ce roman d'anticipation si mythique, certes connu avant tout grâce à sa carrière cinématographique bégayante, une seule question prévaut ici : Qui l'a vraiment lu ?   Sans exagérer, je crois pouvoir affirmer que très peu de gens se sont penchés sur ce célébrissime livre de Pierre Boule.

D'ailleurs, au vue des préquelles et des séquelles tirées de ce petit roman par de nombreux réalisateurs de cinéma, on pourrait légitimement penser que, soit le roman de base est un vrai pavé littéraire, ou que ces films sont issus d'une importante suite de livres, telle une saga. Que nenni !  La source originelle tient en un roman de moins de 200 pages !  L'exploitation  commerciale, plus ou moins heureuse, a fait le reste.

" Mais alors me questionnerez-vous, les films sont-t-ils une fidèle restitution du roman ? "  Là encore je me vois contraint de bisser mon " Que nenni " !  En effet, tout l'incipit du roman et sa fin diffèrent totalement des versions du grand écran, de plus celui-ci nous proposait une civilisation de singes relativement basique, sans aviation, ni moyen motorisé de transport où le cheval primait, aux antipodes du roman. Et puis, la double chute finale du livre, étourdit agréablement le lecteur, qui en restera médusé, longtemps !

D'ailleurs, dès mon résumé, on peut se rendre compte qu'il ne correspond en rien au début du film de Francklin J.Schaffner sortie en 1968, premier d'une série de 8 ! Et là, sans vouloir vous dévoiler l’histoire du livre, je vais vous révéler deux secrets, qui ne seront pas un spoiler de l’intrigue du roman : La planète qu'abordent les trois terriens, n'est pas du tout la Terre ! (Contrairement aux films). Et le couple de riches oisifs du début du livre, ne sont pas ce que l'on pourrait croire. Mais chut l'auteur nous dupe, nous manipule, nous leurre... il fait son métier somme toute !

Bref, l'industrie du cinéma a tellement bousculé, émasculé, dynamité, trépané les bases de ce roman, dans un but un peu trop mercantile, qu'au final, lire ce petit livre, s'avère comme une vraie découverte où des surprises INÉDITES vous attendent.

Publié en 1963, ce roman dénonce et sanctionne l'arrogance outrancière de tout pouvoir, quel qu'il soit, vis à vis d'espèces différentes dîtes " inférieures ", faisant notamment allusion à la ségrégation aux Etats-Unis, ou à l'Apartheid en Afrique du Sud. La résonance sur l'histoire de l'humanité est sibylline, inévitable. 

Pierre Boule blâme aussi l'obscurantisme scientifique, enfermé dans sa tour d'ivoire, imbu de certitudes, incapable de remettre en causes des connaissances qui finissent par s'avérer caduques. 

Malgré tout, on ressent chevillée au corps de l'auteur, une belle note d'espoir fortement revendiquée par la ferme volonté de faire sauter les barrières entre les genres, inoculée par l'AMOUR, qui seul est capable de tout transcender, s’inscrit utopiquement comme une espérance immuable de toute civilisation.

Et puis, comme un oiseau de mauvaise augure, Pierre Boule annonce la possibilité de la fin de la civilisation humaine. Oui, malgré sa puissante technologie dans tous les domaines, l'homme reste fondamentalement très fragile, face aux terribles menaces de tous ordres qui se dressent devant lui.

Mille raisons de vous plonger dans cette oeuvre, vous serez très certainement surpris, car comme l'iceberg, le cinéma n'en a révélé qu'une infime partie !



2 sept. 2014


" Rouge Brésil " de Jean-Christophe Rufin  19/20



Nous sommes en 1555, dans le tout nouveau port du Havre de Grâce, situé au nord de l'estuaire de la Seine. Sous le commandement du chevalier de Villegagnon, trois caravelles sont prêtes à partir pour une terre jusqu'ici laissée aux mains des portugais, celle du Brésil. Just et Colombe, frère et soeur, sont deux enfants embarqués de force dans cette expédition afin de retrouver un père illusoire, mais surtout pour servir d'interprètes auprès des tribus indiennes de l'Amérique du Sud, naturellement en vue d'échange très lucratif, et d'un fort prosélytisme religieux de la région.

Dans cette épique aventure, tout est démesuré ; le cadre d'abord, avec la grande baie sauvage de Rio, encore livrée aux jungles et aux Indiens cannibales ; les personnages, notamment le chevalier de Villegagnon, chef de l'expédition, nostalgique des croisades et pétri de culture antique ; une crise religieuse majeure, puisque sous les tropiques ce sont les prémices de la guerre entre les catholiques, à l'écoute de Rome, et les protestants, fervents disciples de Calvin, qui vont s'opposer frontalement. Conflit qui débouchera dix ans plus tard sur les inéluctables et sanglantes guerres de religions européennes.

D'emblée, l'incipit donne vite le ton : " Imaginez un instant, monseigneur, ce que peut ressentir un homme qui voit bouillir devant lui l'eau où il va cuire ! "   Sacrée accroche !

Ici le romanesque n'est là que pour lier l'ensemble, puisque le plus surprenant, c'est que cette impensable histoire, est totalement vraie !  D'ailleurs, il serait sain et légitime de se poser la seule question qui vaille : " Pourquoi cet épisode de l'histoire de France est-t-il resté perdu dans les oubliettes du temps ?  Peut-être parce que la Louisiane, le Québec, l'Indochine, Pondichéry résonnent à nos oreilles comme des lieux de présence française, contrairement au Brésil qui n'évoque rien de tel, d'où l'anonymat du nom de Villagagnon, tombé dans l'oubli total, aux antipodes d'un Christophe Colomb, d'un Marco Polo ou d'un Jacques Cartier !

En filigrane, on perçoit que l'auteur privilégie le thème de la première rencontre entre deux civilisations, l'instant magique mais fallacieux de la découverte mutuelle, puisqu'il contient déjà toutes les passions, les frustrations et les malentendus, qui vite sèmeront la zizanie entre ces deux cultures. 

Le talent rare de Jean Christophe  Rufin est de nous dessiller le regard, de mettre en scène deux conceptions opposées de l'homme et de la nature, d'une part la civilisation européenne arrogante et ivre de certitudes, qui se veut libératrice, progressiste et se découvre meurtrière et destructrice, et le monde indien, qui se veut libre, humble et heureux de vivre en harmonie avec la nature, mais qui par ses croyances devient parfois troublant et cruel.

Au travers du destin inouï de Just et de Colombe, l'auteur nous enrichit intelligemment de ces différences, qui rendent caduques tout avenir de cohabitation. Condamnant ces populations indiennes à une disparition malheureuse, mais non moins certaine. Trop de maux les attendent : la maladie (la petite vérole dans ce roman-ci), l'esclavagisme (car les colons avaient besoin d'une importante main d'oeuvre gratuite), le fanatisme religieux, la destruction de leur habitat (les colons français, qui sous prétexte de construire un fort afin de les préserver des portugais, détruisent toutes vies végétales sur leur île, pourtant imposante en dimension !) Cela me rappelle cette phrase célèbre : " Quand deux civilisations se rencontrent, c'est toujours au détriment de la moins développée."

Cette région où les français s'établirent pendant quelques années au Brésil, avant d'être chassés par les portugais, fut baptisée par Villaganon : " La France Antarctique ".

Jean Christophe Rufin a écrit une oeuvre remarquable, d'une maîtrise totale, sublimée par le style, époustouflant de trouvailles, qui ne peut que ravir l’amateur de grande littérature historique. On comprend sans difficulté son couronnement par le Goncourt en 2001, ce n'est que grandement mérité. Respect Monsieur Rufin !

Bref un roman simplement magnifique, totalement dépaysant et fondamentalement exceptionnel ! Quoi, vous ne l'avez pas encore lu, mais vous attendez quoi ?    Que je vous l'offre !?!