21 sept. 2014


" L'invention de nos vies " de Karine Tuil    17/20


Sam Tahar, brillant avocat au barreau de New York, semble tout avoir : la célébrité, la fortune, une femme stylée, deux beaux enfants... Mais sa réussite repose sur une imposture : afin de pouvoir débuter sa vie professionnelle, et devant l'handicap certain que son identité lui confère, il s'est fourvoyé en s'inventant des origines juives, inspirées de celle de son ami de jeunesse Samuel, un écrivain raté qui s'enlise dans ses écrits. Tous les deux sont fous amoureux de la belle Nina, mannequin de catalogue, qui par mansuétude, est restée depuis vingt ans du côté du plus faible. Mais, un jour, suite à une émission de télévision où apparaît Sam Tahar, Samuel décide de renouer les liens.

On est très loin de la sempiternelle histoire du triangle amoureux entre deux hommes et une femme, non ici ce qui interroge avant tout, c'est la question fondamentale de l'identité de chacun, et ce que l'on en fait tout de long de la vie. Se construit-on par rapport à ses propres désirs, ou modèle-t-on notre façon d'être en fonction du regard acéré et critique d'autrui ?   En allant plus loin, dans notre monde si exigeant et impardonnable : est-on prêt à vendre son âme au diable, pour avoir une chance d'exister, aux yeux des autres et des siens ?   Si oui, jusqu'à quel point est-on prêt à aller, pour se faire passer pour ce que l'on n'est pas ?    Quel est au final, le vrai prix à payer pour RÉUSSIR ?   Et en est-on vraiment heureux pour autant ?   Car le simple fait de ne pouvoir dire qui on est vraiment à son entourage, peut se vivre comme une faille de plus en plus douloureuse et insupportable.

Sam Tahar, lui, après avoir très brillamment fait ses études d'avocat, se retrouve esseulé sur le banc de touche du chômage, malgré un CV des plus irréprochables, alors où est le problème ?  Son vrai nom : Samir Tahar !   Son origine : Arabe !

Tout son malheur, vient de là : son identité. Mais un jour, enfin il est embauché, grâce à un quiproquo qu'il se garde bien d’éclaircir, trop heureux d'échapper enfin à une ségrégation inique. Il rentre ainsi volontairement, dans la spirale du mensonge. Qui naturellement, tel un fidèle boomerang, lui reviendra très violemment en pleine face, des années plus tard.

Ces mensonges pour se sortir d'un quotidien maussade, fondations de ce livre, ne sont pas sans me rappeler le magnifique roman de Philip Roth : " La Tache ", où un professeur de lettres classiques préfère démissionner, suite à des propos soit-disant racistes, plutôt que de prouver son innocence en avouant sa véritable identité.

Karine Tuil, nous démontre avec une maestria fort habile, la responsabilité du terreau familial dans notre construction d'être humain, puis les événements, les rencontres, les absences, les déceptions, se chargeront de poursuivre le façonnement de notre personnalité. Mais quand l'injustice probante, la partialité du monde, influencera trop nos vies, et qu'une probante suspicion d'inégalité s’inscrira dans notre mental, chacun à sa façon réagira suivant sa conscience : soit survivre en s'adaptant coûte que coûte, où s'en foutre, garder son intégrité et sa morale, et avancer à son rythme, mais avec dignité.

Des trois personnages principaux, personne n'en ressortira indemne, trop de cynisme, d'ambition personnelle et de désirs refoulés, emprisonneront et empoisonneront leur relation dans une mélasse méphitique. Mais pour la plus grande joie du lecteur, car ce roman, par sa grande puissance narratrice, nous aspire avec une grande avidité dans un tourbillon de lecture foudroyante et addictive.

Ce livre vaut également pour sa pertinente démonstration de l'effet papillon, initiée par la catastrophe du 11 septembre.

Juste un léger bémol pour le début du roman, qui s'ouvre sur une interloquante succession de phrases abstruses et stressées !   Je l’identifierais à un ballet de mots qui sans vergogne, dansent, virevoltent, se grimpent dessus, au grand détriment de notre basique compréhension, et je ne parle pas des abus du signe  "/" , qui surprennent et gênent la lecture. Mais cette déroutante entrée en matière, s’effiloche vite au fil des premières pages, pour laisser place à une frénétique, trépidante et vertigineuse histoire de recherche du bonheur !

Un roman enthousiasmant, terriblement d'actualité, qui questionne sur les différences et la moralité, bref, un livre qui concerne tout le monde, à lire sans mégoter !!!



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