11 nov. 2014

" Quiconque exerce ce métier stupide mérite ce qui lui arrive ! " de Christophe Donner 15/20


D’emblée, ce titre improbable interpelle, d'ailleurs c'est le plus long de cette rentrée littéraire 2014, il est signé Orson Wells (commentaire émis lors de l'arrêt du festival de Cannes en 1968), et colle parfaitement au propos de ce récit décapant.

Il s'agit d'une plongée atypique dans le monde du cinéma français des années 1960/1970 avec en fil rouge un homme : Jean-Pierre Rassam ; peu connu du grand public, mais dont l’influence et l'argent ont permis l'explosion de grands talents comme Pialat, Berri, tous trois désormais disparus.

Fils d'un diplomate/homme d'affaires libanais, Jean-Pierre, petit, se retrouve dans les années 1950, seul à Neuilly dans un pensionnat pour gosses de riches. Couvert à l’excès de cadeaux et d'argent de poche, son père lui dira : " C'est pour te faire des amis, pas pour jouer ! ".

Jean-Pierre Rassam ratera 2 fois le concours de l'ENA, bien qu'à l'oral il se soit montré plus que brillant sur Charles Péguy, avant d'avouer au jury, dans un élan de folle vérité, qu'il n'en a jamais lu une ligne. Le personnage entier est là, flamboyant, beau parleur, matois, extravagant et outrancier. Rien ne l'arrête, rien ne lui est impossible. Il pilote sa vie sans regarder derrière, tout est à l'avenant, ses amours, ses rencontres, ses désirs et ses abus. Comme une étoile qui brille trop vite et trop fort, sa vie ne peut être qu'éphémère.

En janvier 1967, déjà sa première rencontre avec Claude Berri est dantesque : lors d'une partie de poker folle, Berri à sec met son Oscar (reçu pour un court métrage, nommé : " Le poulet ") en jeu. En face, Rassam met sa compagne et sa soeur sur le tapis vert. Berri perd son trophée, mais gagne une amitié et sa future femme, en la personne d'Anne-Marie Rassam. Tandis que sa soeur, Arlette Langmann, filera le parfait amour avec Maurice Pialat, malgré une différence d'âge importante. Tous liés par le cinéma, la famille et les femmes.

Ce roman débute par un drame : le suicide de l'homme qui a lancé Brigitte Bardot dans " Et Dieu créa la femme ", Raoul Lévy, qui par dépit amoureux se tirera un coup de carabine dans le ventre. Ce film, le jeune Rassam l'a vu, en pénétrant clandestinement dans une salle des Champs-Elysées, ses cris, devant la beauté insolante de Brigitte, le feront exclure de la salle. Dès lors, grâce à l'argent de son père, son envie de produire des films innovants, sortant des sentiers battus, s'affirme comme une évidence. De plus, sa faculté innée de pouvoir convaincre n'importe quel quidam, gonflera son orgueil insatiable.  En véritable chef d'orchestre, il sera à l'origine de grands films (Nous ne vieillirons pas ensemble, La grande bouffe, etc...), comme de projet dément : proposer à Polanski l'adaptation du Voyage au bout de la nuit, emmener Godard à Beyrouth rencontrer Abou Hassan le leader de Septembre noir pour réaliser un film pro-palestinien.

Bref sa vie n'est faite que d’extravagance, parfois boudé par le public, parfois encensé. Avec Maurice Pialat et Claude Berri, malgré de mémorables conflits, ils entreprendront de changer le monde du cinéma, trop conformiste à leur yeux, ou ronronnant sur la " Nouvelle Vague ". Des épisodes fous égrèneront ces années en commun, notamment la virée dans la Mercedes de Truffaut, avec Berri au volant, direction Prague afin de récupérer les jumeaux de Milos Forman, grandement menacés par l'entrée des troupes russes en Tchécoslovaquie.

Jean-Pierre Rassam, ne pouvant vivre que dans le luxe du Plaza Athénée, aura marqué de son empreinte indélébile cette période inventive du cinéma français. Vivant sa vie comme une course effrénée, il sera rattrapé par ses démons, qui lui brûleront les ailes un certain 28 janvier 1985.

Un roman décoiffant, très instructif, bourré d'anecdote, des plus déjantées aux plus dramatiques, qui aurait peut-être mérité le prix Renaudot !


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