" Échapper " de Lionel Duroy 13/20
Lionel Duroy nous livre ici en quelque sorte, sa propre histoire au travers d'Augustin : un écrivain goncourisé au caractère complexe qui vit deux grands malaises : d'abord sa rupture d'avec Esther, puis une cruelle panne d'inspiration. D'ailleurs pour lui, l'un va toujours avec l'autre, car seul l'amour lui permet de noircir du papier.
La jeunesse d'Augustin/Lionel fut profondément bouleversée et émue par un roman tiré de faits réels : " La leçon d'allemand " de Siegfried Lenz. Cela se passe au nord de l'Allemagne dans le village de Rugbül, le jeune Siggy tente de comprendre pourquoi son policier de père, qu'il aime profondément, a pu persécuter pendant la seconde guerre mondiale l'un de ses meilleurs amis : Emil Nolde, peintre de son état, que les nazis accusaient d'être comme tant d'autres : un artiste dégénéré. Ses oeuvres seront même interdites et réquisitionnées par le régime nazi, avec surtout l'interdiction suprême de reprendre les pinceaux. Mais qui peut croire réellement que l'on peut stopper la production d'un artiste ?
Lionel Duroy comme son double Augustin, y piochent des thèmes qui les travaillent depuis longtemps : le destin des enfants de tortionnaires, la passion d'un artiste pour son art, la rupture amoureuse, la naissance d'un amour atypique (grand écart d'âge), les conflits familiaux et la magie des rencontres.
Augustin/Lionel part donc s'installer dans une ville côtière du nord de l'Allemagne, Husum, à deux pas du Danemark, sur les traces de ce livre culte afin de s'imprégner du pays, de son atmosphère et de ces rustres habitants, pour tenter d'en écrire la suite. Cependant, il n'en fera rien, car tout ira de travers. Malgré le fait que le roman "La leçon d'allemand " soit inspiré d'une histoire vraie : le nom du village n'existe pas, la vie du peintre Emil Nolde, dont les tableaux furent spoliés, est loin d'être aussi vertueuse que le roman initial la raconte, puis sa vie amoureuse diffère également, bref, le mythe en prend un sérieux coup. Malgré tout cette dissonance, loin de créer une déception, donne un souffle au roman, qui ouvre ainsi d'autres perspectives.
La vie du peintre Emil Nolde se trouve juxtaposer par petites tranches à celle d'Augustin/Lionel, donnant parfois un effet de mimétisme et de bégaiement, qui il est vrai, peut finir par troubler la lecture : on ne sait plus dans lesquelles des deux histoires racontées en parallèle, on appartient. Exercice difficile que ce parti pris ; soit on s'énerve devant cette narration au compte-gouttes, soit on se laisse bercer par cette lecture à plusieurs étages, comme un ronronnement en stéréo.
Néanmoins tous ces points de convergences, surtout dans l'introspection, s'ils ne lassent pas, fusionnent et envoûtent, surtout quand Lionel Duroy exprime l’inassouvissable passion de l'artiste pour son art, magnifiée par l'osmose qu'il forme avec sa compagne de fin de vie : Ada.
Husum, à l'instar des états d'âme d'Augustin/Lionel est une petite ville incessamment balayée par les vents glacials de la Mer du Nord, à peine protégée par une frêle digue, qu'il faut reconstruire après chaque grosse tempête, au risque de voir la cité disparaître corps et âmes, sous les flots tumultueux de cette mer froide.
D'ailleurs le passage traitant de ses hommes, qui, tel le mythe de Sisyphe, mènent une lutte qui n'a pas de fin contre ces flots impétueux, est d'une beauté poétique et dramatique. Tels des travailleurs de " l'amère ", pour parodier le célèbre titre de Victor Hugo.
Bref, un roman rendu vivifiant par l'air iodé, mais qui se perd en introspection hallucinée sur des amours perdus. Telle une horlogerie subtile et sensible, mais parfois d'une rugosité astringente.
Par contre, quel hommage aux livres, à ceux qui nous servent de bouée de secours, de refuge, quand la vie est devenue trop lourde, imbuvable. D'où l'explication sibylline du titre : " Échapper ! ".
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