" Soumission " de Michel Houellebecq 17/20
Dans une France assez similaire à la notre, un homme nous raconte sa carrière universitaire : débutée avec une thèse sur Joris-Karl Huysmans, reconnue comme remarquable par ses pairs , puis naturellement il devint enseignant, métier qu'il trouve souvent ennuyeux. Pendant ce temps, les classiques forces politiques du pays s’effondrent de leur propre apathie et leur manque criant d'imagination. Cette implosion sans révolution, offre à d'autres des boulevards inespérés.
Tout le récit s'articule autour de la présidentielle de 2022, après deux mandats stériles de François Hollande. Les électeurs frustrés de l'inefficacité et de l'impuissance du pouvoir en place, qualifieront au deuxième tour le Front National de Marine Le Pen et la Fraternité Musulmane de Mohammed Ben Abbes : un musulman modéré, proposant une islamisation de l'éducation, une réduction sérieuse des coûts dans beaucoup de domaines et une légalisation de la polygamie, le tout chaperonné par un premier ministre du centre : notre Bayrou national, qui voit enfin l’occasion d'exister comme élite aux yeux de sa France.
Après les attentats du début d'année en France, la controverse était involontaire mais inévitable. Une fois de plus, quels sont ceux qui ont réellement lu ce roman avant de le juger de façon si arbitraire et définitive, donc caricaturale ? Qu'ils sachent ces xénophobes basiques que ce livre est tout sauf un brûlot anti-islam, qu'il donne une vision autre, peut-être dérangeante, mais trouve sa place face aux angoisses et aux impasses de nos sociétés occidentales. Michel Houellebecq ose aller au-delà d'un laconique constat de décrépitude de nos sociétés, pour avancer vers une méditation d'anticipation, rien de plus, rien de moins. Y voir une projection future de ce qui ne manquera pas de nous arriver, s'avérait hors propos.
L'une des surprises du livre, c'est cette transition politique qui se fait dans un calme quasi général, peu de mouvements de protestation hors de la campagne politique, comme-ci, las d'une France qui ne fait plus rêver, qui vend son patrimoine (entreprises, bâtiments, arts, clubs de sport) à l'étranger, les français inconsciemment, avaient déjà assimilé ce virage politique inédit. Avec les valeurs fortes et nouvelles que propose la Fraternité Musulmane, une espérance est née, un cap est donné, un avenir est promis.
Les sommités "intellectuelles" du pays sous les généreuses indemnités sonnantes et trébuchantes, abandonnent toutes intentions velléitaires, en se rangeant sagement dans les clous d'une retraite aisée. Seraient-elles toutes à vendre ?
Michel Houellebecq n'écrit jamais pour ne rien dire, c'est un contemporain à l'écoute particulièrement fine de son époque. L'homme est féroce, implacable devant ce monde qu'il analyse, qu'il digère, puis qu'il extrapole avec de surcroît une grande lucidité, en nous proposant des variantes, des pistes de réflexion toujours frappées au coin du bon sens. Ce roman est une fable politique qui stupéfie et bouleverse, mais n'est-ce pas ce que l'on attend d'un bon romancier : de l'outrance et de l'originalité ?
Bref, l'oeuvre est pessimiste et glaçante, comme toutes celles de l'auteur, mais des éclairages pertinents, parfois sous un couvert d’humour grinçant, nous alimentent en réflexions qu'il serait stupide de vouloir laisser sous le tapis (oriental ou pas). On peut reprocher à Michel Houellebecq son écriture parfois graveleuse, pathétique et volontairement provocante, mais les idées développées sont dignes d'un grand écrivain. Cynique certes, mais assurément lucide notre Houellebecq national.
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