9 mai 2015


" Trois mille chevaux-vapeur " d'Antonin Varenne 16/20


En 1852, le sergent Bowman, de la Compagnie des Indes Orientales, se voit confier une mission aussi secrète que risquée. Il devra, avec une poignée d'anciens condamnés, remonter l'Irrawaddy (une rivière birmane) à la rencontre d'un hypothétique ambassadeur. La mission est un fiasco, les soldats anglais sont fait prisonniers par les birmans, dix des plus coriaces d'entre eux ne recouvreront leur liberté qu'après de longues années de tortures physiques et mentales.

Il est intéressant d'apprendre que cette fameuse Colonie des Indes, né en 1600, avec l'accord de la reine Elisabeth Ier, due entretenir en 1850, une armée de 300 000 hommes pour assurer sa sécurité, cela donne une idée de la taille de cette entreprise, de ces ennemis potentiels, et surtout de ses bénéfices dantesques. A cette époque, elle impose la loi de son commerce à quasiment un cinquième de l'humanité, soit : 300 000 000 de personnes !!!

En 1858 un gavroche des rues de Londres fait une découverte atroce : celle d'un corps sauvagement mutilé. L'ancien sergent, devenu policier : Bowman, en sera fortement troublé, il ne pourra y voir que l'oeuvre sordide de l'un de ses anciens compagnons de détention. Dès lors, une course poursuite macabre amènera Bowman dans un pays en métamorphose : Les Etats-Unis D'Amérique. Naturellement, ce funeste fil rouge, sert de prétexte à désigner du doigt, un monde en mutation totale, imbu de lui-même, furieusement vaniteux, qui telle une machine infernale de trois mille chevaux-vapeur, broie tout sur son passage : indigents et indigentes de tous pays, sous le rouleau compresseur du profit.

Cette odyssée débutée dans la jungle birmane, se poursuit dans un Londres débordant sous ces propres déjections, avant de filer, après une traversée ultra-rapide de l'océan Atlantique, à la conquête de l'Ouest américain à l'époque où plusieurs centaines de femmes, affamées parce qu’insuffisamment payées, montent des manifestations dans les rues de New-York qui finissent dans le sang, où la ruée vers l'or se tarit, où Abraham Lincoln arrive au pouvoir, où les indiens ne sont déjà plus qu'une minorité, et où la guerre pour l'abolition de l'esclavage compte ces premiers milliers de morts. Beaucoup de bruit et de fureur dans un pays se cherche une identité.

Le personnage central : Le sergent Bowman, nous fait implicitement songer à cette race de héros ténébreux qui traversent les romans de Conrad, Kipling et Stevenson. Lui et ses hommes ont vécu l'enfer absolu, inhumain. Tous sont à la recherche d'une improbable rédemption, dès lors, leur retour à la vie civile s'avère quasi inconcevable. Trop de cauchemars lézardent leur mental fragilisé. La folie les guettent. L'alcool et la drogue leur permettent un moment de répit, mais à quel prix ? Et pour quel avenir ?

Même si le roman se déroule au XIXème, les traumatismes des soldats, rentrant d'un conflit, sont malheureusement toujours d'actualité. Soyons réaliste : il y a peu... non, aucune raison d'espérer, l'homme ne s'améliore pas avec le temps, ou si peu que la différence est infime. Néanmoins, l'oeuvre montre de succincts moments d'espoir, au travers d'un regard, d'une parole, d'un geste de mansuétude, si ténu, mais si essentiel.

Les descriptions du Londres caniculaire de juin/juillet 1858 : étouffant sous un soleil de plomb, sans le moindre souffle de vent, dont les effluves miasmatiques de tous les déchets rendent irrespirables l'air méphitique ambiant, sont d'un redoutable et troublant réalisme. Pas de doute, il y a aussi du Dickens sous sa plume incisive, avec une grosse goutte de Verne pour ces voyages aux travers de pays inconnu, et cette traversée mythique sur ce géant des mers, qui n'est pas sans rappeler certaines de ses oeuvres.

L'anti-héros qu'est Bowman, nous fait pitié, il erre les trois-quarts du roman avec un âme en peine, il n'est plus que l'ombre de lui-même, tout son corps porte les stigmates de son passé, l'oubli est alors impensable, l'horreur de ses combats, il la porte sur lui, c'est indélébile, mais... Mais la rencontre avec une femme nommée Alexandra, fera renaître en lui, cette flammèche, qui petit à petit, après maints retour de ses démons, amorcera le début d'une renaissance, un avenir envisageable, à condition que définitivement, cette histoire de tueur en série soit résolue, d'une manière ou d'une autre... définitivement.

Antonin Varenne nous propose ici un roman cinglant, comme un coup de poing sur un milieu de XIXème siècle nauséabond, qui à construit les bases notre XXème siècle, si sanglant lui aussi !

Peu de réserve sur ce livre, juste cette traversée de l'Atlantique trop furtive, trop facile, trop courte, j'aurais aimé des rencontres marquantes, des métaphores judicieuses, des impressions vibrantes, de l'ampleur, du dantesque, du lyrique quoi ! A l'image de cette construction navale, la première tout en acier, issue de la révolution industrielle ! Quitte à couper dans ce ville à ville américain un rien longuet qui apporte peu, d'ailleurs c'est ce géant à vapeur : "Le Persia", qui donne le titre au livre :" Trois mille chevaux-vapeur " Alors ne lui consacrer que douze pages, dans un roman de 555 pages, quel dommage. A lui tout seul, il vaut un livre. Tant pis !

Je conclus mes impressions avec cette phrase pessimiste écrite par Bowman, dans l'un de ses courriers, qui se suffit à elle-même : "Je les regarde et je me demande comment ils font. Ils se lèvent, vont travailler, mettent des enfants au monde. Les pères qui iront mourir à la guerre ou crever dans les usines font des risettes à leurs mômes, leur avenir déjà tracé du taudis à la tombe, et s'acharnent à croire que leur descendance aura une vie meilleure. Ce n'est pas de la confiance ni de l'espoir, c'est de la folie. Si je suis fou, alors ce sont des déments et quelque part, dans les directoires et les couloirs du Parlement, des hommes ricanent avec moi. "

Envoûtant, grave et apocalyptique.





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