13 juil. 2015


" Le maître des illusions "  de Donna Tartt  14/20


Venant de sa Californie natale et bénéficiant d'une bourse pour ses études, Richard Papen fait sa rentrée à l'université de Hampden dans le Vermont. Ce jeune opportuniste fera tout pour incorporer la section du professeur Julian Morrow, crème de la crème en ce qui concerne l'étude des textes anciens : grecs ou latins. Cette petite communauté, citadelle du savoir antique, vit en dehors des autres étudiants, telle une élite décrite par deux mots d'ordre : Discipline et secret. 

Par son flair, son attentisme et sa sensibilité, Richard devine petit à petit que derrière le glacis nickel des apparences de cette classe "d'élus", apparaît en transparence une ombre sépulcrale, autant dissimulée que sordide. Glaçant ! Qui se cache vraiment derrière cette assemblée d'apprentis savants ?

Ce roman louche légèrement sur le fameux Cercle des poètes disparus de Peter Weir, et le cultissime Crime et châtiment de Fiodor Dostoïevski. 

Donna Tartt mettra dix ans pour l'écrire, elle le publiera à l'âge de 28 ans, une performance à la vue de la complexité psychologique de ce petit groupe d'étudiants, et de son évolution dans le temps. 

Ces universitaires, assurément atypiques, sont puissamment unis par la conscience d'être au-dessus des autres, de faire partie d'un monde à part, ignorant superbement leurs collègues, ivres de leur suffisance.

Seulement un jour, sous l'influence charismatique de leur professeur de langue, et par l'envie profonde d'unir la force des textes étudiés et leur mise en pratique concrète, ils décident d'expérimenter une bacchanale ! Oui ces bacchanales célébrées en l'honneur de Dionysos, Dieu de la vigne et du vin, mais aussi de ces excès : la folie et la démesure ! Précisons que l'auteur aurait dû parler de dionysies et non de bacchanales, puisque celles-ci concerne Bacchus, lié à l'empire Romain et que  Donna Tartt s'évertue à ne parler que de Dionysos lié à l'empire Grec. Étrange ! A moins qu'il ne s'agisse d'une erreur volontaire ou pas de traduction. Bref, ces festivités en l'honneur de Bacchus ou de Dionysos s'achevaient généralement en transes extatiques. Dans ce cadre plus que singulier, toutes les permissivités inadmissibles en temps normal, pouvaient se concrétiser. Je ne vous ferais pas de dessin !

Nos jeunes forcenés de l'expérimental, désireux de connaître les plaisirs antiques, bafouant toutes barrières morales, dépassèrent les bornes en testant, notamment par le jeûne et une implication spirituelle absolue, les limites de la conscience...

Il m'est difficile d'aller plus loin, sans prendre le risque de dévoiler ce qui fait l'intrigue de l'histoire, et de gâcher le plaisir des futurs lecteurs. Néanmoins, le récit bascule à ce moment là, pour ne devenir dès lors, qu'une succession de manipulations psychologiques entre les six membres de cette mini-société d'esthètes. Et puis, comme l'écrit Donna Tartt : Les choses terribles et sanglantes sont parfois les plus belles ! Ce qui est une idée très grecque, abasourdissante, effrayante soit, mais assurément grecque.

D'ailleurs tous les personnages gravitent fortement autour de cette mentalité grecque, celle qui parle d'honneur, de courage, de recherche d'absolu et d'extase, bien loin du côté matérialiste, mais bien loin aussi... de la moralité.

Donna Tartt réussit des portraits fouillés de ces brillants étudiants, pour le moins arrogants et dépravés, picolant tellement souvent que devant ces innombrables descriptions de soûleries, ou de lendemains de soûleries (à vrai dire quasi-quotidiennes), j'ai souvent cru que du whisky ou autre alcool allait couler à flot du livre, tant ces scènes se répètent comme un leitmotiv. Pourtant, ils ont toutes les cartes en main pour sortir diplômés, et entrer dans la vie courante par la voix royale, cependant, par idéalisme atypique, par désœuvrement ou par simple bêtise : ils brûleront leur chance sur l'autel des vanités. Un ineffable gâchis monumental !

Néanmoins, cette tension psychologique qui est la base du roman, ne grimpe jusqu'à son paroxysme qu'avec une lenteur excessive, pensez-donc : 800 pages ! Un pavé ! Une coupe judicieuse, sans pour autant castratrice, aurait permis d'aérer cette histoire. Autre regret : d'avoir si peu de scènes avec le magnétique professeur de grec, qui par ses discours inspire presque tous les événements à venir. D'ailleurs sa fuite finale, est presque une preuve d'aveu de sa culpabilité ou une absence de volonté de faire face, mais chut ! Je ne vous est rien dit.

Volontairement Donna Tartt ne donne aucune indication d'époque, permettant d'insérer son histoire dans une année précise, cependant, d'après deux ou trois indices faiblards, se profile à l'horizon la fin des années 80, ou le début de la décennie suivante. 

Et puis, je dois avouer avoir un souci avec le titre Le maître des illusions. Soit, je suis définitivement bête, soit je mets le doigt sur un point ambigu, en effet je ne trouve aucun rapport entre ce titre accrocheur et l'histoire narrée. Tous les personnages ont leur part d'ombre, même plutôt deux qu'une ; tous mentent effrontément ; tous naviguent dans leur monde bercé d'illusions, justement ; tous se prennent pour de fortes entités ; tous sont d'une égocentricité vertigineuse, alors pourquoi ce titre au singulier ? Un simple pluriel s'accorderait-il pas mieux au sujet traité ? J'aimerais ici avoir votre avis.

Certes, il s'agit là d'un remarquable thriller intellectuel et psychologique sur une jeunesse d'élite immorale, qui oubliera ses responsabilités en plongeant dans un maelstrom de folie furieuse, mais c'est aussi un parcours initiatique, un apprentissage de l'ambiguïté des sentiments, et une oeuvre baroque sur la perte de l'innocence. 

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