8 août 2015


" L'insoutenable légèreté de l'être " 16/20   Milan Kundera


A la fin des années 1960, dans une Tchécoslovaquie à l'aube du printemps de Prague, l'auteur nous propose de suivre un couple épris de liberté : lui se nomme Tomas, chirurgien et séducteur invétéré, elle Tereza, serveuse et d'une jalousie farouche. Autour d'eux plane l'ombre de l'une des maîtresses de Tomas, la grande Sabina, artiste peintre, vouant sa vie de façon indéfectible à la liberté.

Mais vite le pays est envahi par les troupes de l'URSS, dès lors, chacun tentera de survivre avec ses convictions, quitte à s’exiler de plus en plus loin, pour conserver ses valeurs et ce besoin immarcescible de liberté.

D'emblée rappelons-nous que Milan Kundera est né à Brno, capitale de la Moravie, cette magnifique région de l'ancienne Tchécoslovaquie. A 20 ans il est exclu du parti communiste et interdit de publication dans son pays à partir de 1968. En 1975, il part s'installer en France. Il devra attendre 1981 pour obtenir la nationalité Française sur sa terre d'accueil, tout au long de sa vie, il accumulera de nombreux prix littéraires, notamment grâce à celui-ci, devenu son plus célèbre roman.

Il s'agit sans aucun doute d'une flamboyante histoire d'amour, et inévitablement... de mort. Tel Éros et Thanatos. Tout ceci tourne autour de la profondeur du mystère de l'amour et de la liberté, mais aussi une étude profonde de ce qu'est la vie humaine, embourbée dans le traquenard, la duperie, qu'est devenu le monde. Mais avec une certaine lucidité, ne peut-on pas dire qu'il n'en a pas toujours été ainsi ? Un cynique piège pour l'homme ?

Avec audace Milan Kundera mêle à la fois des scènes de la vie amoureuse, où d'insondables malentendus surgissent entre hommes et femmes, à des réflexions plus ou moins profondes, parfois même cocasses, sur ce que signifie les choix, toujours définitifs, que nous faisons régulièrement dans l'existence. Car de toute évidence, ces choix nous condamnent à demeurer dans l'incertitude de leur opportunité, en effet, comment savoir s'ils sont judicieux puisqu'il est impossible de revenir en arrière, prendre une décision contraire, puis les comparer. L'unidirectionnalité de la vie dresse cette barrière, et il nous faut vivre avec, comme des condamnés au doute perpétuel.

Cette unicité fait que nous portons en nous, non seulement nos actes et les retentissements de nos actes, mais aussi des pensées, des sentiments, des désirs, des cauchemars, des craintes, qui sans le vouloir naissent de cet état de fait et reviennent, comme de lancinantes oscillations nous perturber. Avec le temps, les unes se sont dissipées, les autres nous poursuivent, parfois sans fin, comme une damnation. 

Le roman soulève une autre question fondamentale : Quand on vit sous un régime autoritaire, comme sous la botte russe après l'invasion de la Tchécoslovaquie en 1968, vaut-il mieux : résister et honnir le régime en criant sa liberté chérie, hâtant ainsi sa propre fin ? Ou bien se taire, avancer dans les clous tête baissée, et s'offrir ainsi une plus lente agonie ?

D'ailleurs, comme un retour au sujet précédent, comment connaître la bonne réponse, puisque la vie humaine n'a lieu qu'une seule fois, et que nous n'auront jamais l'occasion de vérifier quelle est la bonne décision ! Du reste, encore faut-il qu'il y en aie une ! Ce qui est bien loin d'être une certitude absolue.

Et puis, que faisons-nous des hasards qui nous enveloppent, des opportunités qui jaillissent de nulle part, mais qui néanmoins s'offrent à nous ? Savons-nous nous en servir pour progresser, pour nous élever, pour nous augmenter ? Ou gâchons-nous bêtement ces possibilités par un apathisme navrant ?

Ce roman comporte aussi des pages magnifiques, notamment sur la condition animale d'où Descartes n'en ressort pas blanc-blanc, lui qui niait l'âme et la conscience des animaux, allant jusqu'à les comparer à des machines insensibles à la souffrance, tandis que Nietzsche, devant cette même souffrance supportée par un cheval, ira par désespoir,  jusqu'à pleurer dans son encolure, comme pour excuser l'éternelle et l'inexpugnable violence humaine. 

Milan Kundera nous gratifie tout au long du roman de commentaires sur ses propres personnages, comme s'il s'en détachait pour les étudier de loin, sous un autre angle. Ou las de tirer les fils, il les laissait vivre, seuls aux prises avec leur histoire. Comme voulant être étonné par eux ; originale méthode cognitive.

Bref, c'est une étude sans complaisance d'une société qui se cherche une place, une vérité, un positionnement en relation avec son être profond sans faux-semblant. Un roman qui fait partie de ceux dont la relecture est possible, souhaitable, voire fortement conseillée, tant il résonne universellement sur nos vies.


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