" Alamut " de Vladimir Bartol 19/20
Ce roman est un coup de poing littéraire, une gifle de machiavélisme, comment avais-je fait pour passer à côté jusqu'ici ? D'autant qu'une phrase mise en exergue annonce le ton : Rien n'est vrai, tout est permis !
Cette profusion de richesses noires éclaire notre conscience d'homme, intoxiqué et embourbé par tant de choses insipides. Une luminosité terrifiante en ressort, qui touche à la manipulation de masse. Glaçant de pertinence et d'actualité ! Essentiel ! Que tout étudiant, pendant son cursus scolaire, devrait avoir lu.
Paru en 1938, sa clairvoyance, son avant-gardisme sont comme une prémonition des années terribles qui allaient suivre... jusqu'à nos jours, où son utilité n'a jamais été aussi actuelle ! Une oeuvre créée il y a 80 ans, et qui nous raconte hier, aujourd'hui, et très certainement demain ! Incroyable !
Tout part de faits historiques : Alamut est une forteresse construite au cours du IX ème siècle, dans le Nord-Ouest de l'Iran non loin de la chaîne de montagne d'Elbourz et du mont Damavand. Taillée directement dans la roche même, on la dit inexpugnable. Malgré tout au XI ème siècle, le grand maître Hassan Ibn Sabbâth s'en est emparé pour servir de base à la secte chiite ismaélienne des Nizârites. Ces musulmans sont avant tout des fondamentalistes religieux qui mènent une guerre contre l'autorité Turc et la branche sunnite de l'islam, qui conteste leur existence. Les ismaéliens se disent les seuls vrais héritiers du prophète Allah, et à se titre, abhorrent tout autre dérivé de l'islam. A l'époque, et pendant environ 200 ans, tous les monarques de la région et d'ailleurs, tremblaient de peur devant les ismaéliens, dont les plus virulents se transformaient en tueurs fanatiques sous les influences conjuguées d'un endoctrinement partial et d'une addiction au haschisch, faisant ainsi régner une terreur mystique !
Là-dessus, Vladimir Bartol construit une trame à la fois exotique, machiavélique et démuirgique, qui nous emporte dans cet orient de légende peuplé de jeunes filles tout juste pubères et relativement naïves, de jeunes hommes intelligents et cultivés, quoique notoirement influençables, et de grands maîtres appelés dais, responsables de leur éducation, et au-dessus de tout ce peuple, règne l'ambitieux et mégalomane Hassan, celui qui s'empara par ruse de la forteresse d'Alamut et qui s'apprête à lancer une offensive faite de manipulations abjectes pour ébranler tout le monde musulman, et pouvoir ainsi devenir leur Maître incontesté, représentant du prophète Mahomet sur terre. Rien que ça !
On devine le cynisme et l'immoralité de Hassan, qui n'hésite pas a faire construire dans sa cité rocheuse, de somptueux jardins d'éden peuplés de sensuelles esclaves, sensées être des houris, plus belles les unes que les autres, pour y conduire ses jeunes redoutables guerriers drogués afin de leur faire toucher du doigt le vrai goût du paradis qui leur est promis, comptant bien ainsi les motiver encore plus, lors de futurs combats décisifs.
Certes, on a affaire à un récit d'aventures, mais c'est, et heureusement, bien plus que cela, puisque Vladimir Bartol dérive magnifiquement et pédagogiquement sur une fable politique et philosophique, en examinant à la loupe les dessous des cartes de l'élaboration d'une dictature, puis de son établissement, en nous narrant au passage tous les coups tordus, les manigances, les persuasions, les discours sophistiques et les subtils mécanismes psychologiques destinés à endormir ses fidèles, pour mieux s'en servir. Tout se résumant en une phrase : La force de toute organisation repose sur l'aveuglement de ses partisans.
Ce roman terrifiant, peut, par son côté didactique s’apparenter à une sorte de manuel en dix leçons destiné à tout futur dictateur, prêt à tout pour devenir maître d'une région, d'un pays, ou voyons les choses en grand : Maître du monde !
Je rappelle qu'il fut écrit pendant les années 1930, sorti en 1938, et que les événements qui suivirent, font de son auteur, un véritable Cassandre. Outre le deuxième conflit mondial, aujourd'hui avec tous ces attentats suicides, ces musulmans intégristes, et la naissance de Daech, font qu'à plus d'un titre, malheureusement, ce roman est toujours d'une actualité mordante !
Une phrase du roman nous rappelle avec justesse et amertume, ce que furent les accords de Munich de l'automne 1938 : ...l'énorme majorité des gens tient à la vérité ? Que nenni ! Les gens veulent la paix et des fables pour nourrir leur imagination. Mais la justice ? Ils s'en moquent, si tu satisfais à leurs intérêts particuliers... ...si les hommes sont ainsi, me suis-je dit, alors utilise leurs faiblesses pour atteindre le but élevé qui est le tien... ...J'ai frappé à la porte de la bêtise et de la crédulité des gens ; de leur concupiscence, de leurs désirs égoïstes. Les portes se sont ouvertes en grand.
Et puis, il y a un élément qui m'a particulièrement interpellé, c'est quand le soi-disant prophète Hassan, qui est sensé être en quelque sorte le bras droit d'Allah, puisqu'il détient, d'après ses dires, les clés du paradis, avoue calmement à un tiers, être dans le meilleur des cas, un agnostique, pour ne pas dire un athée ! Ainsi toutes les religions du monde, responsables de tant de guerres, ne seraient-elles pas toutes construites sur du vent ? Uniquement mises en place pour canaliser l'Homme, au grand profit d'autres hommes bien contents de la crédulité d'une grande partie de l'humanité. Ceci mérite en tout cas une sérieuse réflexion.
Cet indispensable roman m'a rapidement évoqué ceux de Jean-Christophe Rufin, par sa précision historique, par ses personnages variés autant psychologiquement, rationnellement que moralement, par sa narration qui emporte le lecteur dans un exotisme dépaysant, et par un style d'écriture, relativement simple, mais qui mine de rien, élève, instruit et fait cogiter.
Un livre à lire, que dis-je, un désormais classique à dévorer toute affaire cessante !!!
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