" Bilqiss " de Saphia Azzeddine 19/20
Bilqiss est une femme qui vit sous le joug d'une dictature islamiste, dans un village et un pays qui ne sont pas cités. Malheureusement pour elle, elle est insoumise et intelligente. Son avenir ne pourra donc n'être qu'une chimère, puisque la loi de l'islam radical n'autorise que trop peu de choses aux femmes. Oui... juste le droit de se taire, peut-être de mourir aussi, et c'est à peu près tout.
Bilqiss, après avoir vécu une jeunesse faite de coups, de brimades, d'humiliations, se voit contrainte à 13 ans de se marier avec un homme de 46 ans, plutôt brutal et dénué de tout sentiment. Puis un jour, devenue veuve, et n'ayant ni enfants ni parents, donc aucun statut, elle deviendra un problème pour l'ordre établi. D'autant qu'un matin, par amusement, elle dira l'appel à la prière à la place du muezzin trop ivre pour cela, en y incluant quelques digressions personnelles, mais toujours dignes d'Allah. Il n'en faudra pas tant pour être condamnée à une lapidation.
Et puis les chefs d'accusations sont d'une telle absurdité, que ce jugement en devient ubuesque ! Pensez-donc, on lui reproche aussi d'avoir chez elle du maquillage, des chaussures à talons, un portrait d'homme, des journaux, un recueil de poésie persane, du gingembre, un parfum, une pince à épiler, etc... Le comble étant peut-être atteint avec l'achat de courgettes ou d'aubergines, légumes naturellement de forme phallique, qu'il faut obligatoirement faire couper en morceaux par le marchand avant de les rapporter chez soi ! Si ce n'était si dramatique, cela en deviendrait presque risible !
N'ayant plus rien à perdre lors de son jugement, Bilqiss jouira de l'occasion pour provoquer avec une rare intelligence les juges, outrés de son attitude. en voici un exemple : Monsieur le juge, puis-je vous rappeler la sourate 88, verset 21. Dieu a dit : Tu n'es qu'un messager. Tu n'as point d'autorité sur eux. C'est à Nous de les juger et de les rétribuer sans rien omettre de leurs actions." Alors, je vous le demande, vous prenez-vous pour Dieu ? Vous vous octroyez une tâche divine. Dieu vous a-t-il donné une procuration pour me juger ? Puis-je la voir ?
Saphia Azzeddine nous décrit un portrait fort et inoubliable de femme courage qui refuse la soumission, celle qui tue son pays depuis sept siècles, alors que le peuple arabe de l'époque avait tant d'avance par rapport à l'occident, celle qui fait porter toutes les fautes sur les femmes, alors que si elles doivent se couvrir des pieds à la tête avec l'infâme burqa, c'est bien à cause du regard des hommes, ce sont eux les vrais dangers avec leurs désirs malsains, alors pourquoi ne sont-ils pas mis au ban de la société, brimés, emprisonnés ou pire lapidés en lieu et place des femmes ?
Ce roman est un récit à trois voix, d'abord celle de Bilqiss, droite et pertinente ; puis celle de son juge, un être qui rejette sur les femmes toutes ses frustrations, ses culpabilités, ses défaillances, sous couvert de l’omniprésence du religieux, dont il souffre également, cependant au fond de lui il sait qu'il s'apprête à commettre une monstrueuse injustice, d'autant qu'il est attiré, et subjugué par la liberté qu'exprime délibérément Bilqiss, il l'envie ; enfin voici la voix d'une journalisme américaine venue couvrir le procès et interviewer la prisonnière, mais ce ne sont qu'incompréhensions irréversibles entre deux civilisations. Là, Saphia Azzeddine nous sert des dialogues d'une vérité criarde, mettant royalement en perspective deux comportements, deux visions géopolitiques opposés, que seuls beaucoup d'années et de nombreuses personnes de bonne volonté pourraient peut-être résoudre un jour. La tâche est incommensurable, le gouffre abyssal.
L'auteur s’emploie avec talent à observer les relations hommes/femmes quand l'intégrisme s'en mêle, brouillant des cartes qui n'en avaient pas besoin. Malgré tout l'évolution du juge, son chamboulement intérieur, à savoir redevenir maître de ses propres pensées, est comme un petit pas vers une contestation, devant l'infâme horreur qu'il sera peut-être obligé de permettre.
En tout cas, ce personnage de Bilqiss est emblématique à plus d'un titre : on ne peut être qu'admiratif devant sa force, impressionné par son courage, ému par son humanité, enchanté par ces incivilités et bluffé par sa vérité, son besoin de vivre, de liberté, à jamais condamné, assassiné, enterré, par un odieux obscurantisme.
L'oeuvre nous délivre aussi un questionnement légitime sur l'ingérence dit "humanitaire", en effet pourquoi réellement veut-on aider les peuples en souffrance ? Pour eux ? Pour Nous ? Pour notre conscience d'occidentaux ? Cependant, les dégâts qui en découlent, comme le prouve l'actualité en Irak ou en Lybie, nous obligent à une judicieuse et drastique remise en question . Servons-nous réellement les causes que nous voudrions défendre ? La réponse ne serait-elle pas déjà dans la question ? Et cela me renvoie à un célèbre livre de Milan Kundera qui évoquait déjà, il y a 40 ans, l'idée absurde d’œuvrer dans l'humanitaire pour de mauvaises raisons.
Avec un final, où apparaît enfin un fin croissant de lumière, mais se n'est qu'un roman, Saphia Azzeddine nous délivre avec brio et intelligence un cri d'humanité contre tout fanatisme. Rappelant, par le truchement de son héroïne, qu'en aucune façon l'homme, quel qu'il soit, dans toute sa vanité, ne peut se dire le représentant sur terre d'un hypothétique dieu. Et ceci est naturellement valable pour toutes les religions.
Ce magnifique roman, qu'à mon goût les médias ont trop peu parlé lors de sa sortie, s'affirme magistralement comme une virulente protestation, un coup de poing d'indignation, un cri de rage sorti des tripes de l'auteure, devant l'horreur que vivent tous les jours les femmes, sous le dictat d'états islamiques.
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