" J'ai réussi à rester en vie " de Joyce Carol Oates 15/20
Raymond J.Smith, fondateur et éditeur de l'Ontario Rewiev, une revue littéraire estimée, est mort le 18 février à Princeton, New Jersey. Il avait 77 ans et demeurait à Princeton. Sa mort serait due aux complications d'une pneumonie, selon... etc.
C'est en ses termes que le New York Times informe son lectorat le 27 février 2008. Son épouse, depuis plus de 47 ans, n'était autre que la féconde romancière : Joyce Carol Oates, mondialement connue, dont tant de gens souhaiteraient qu'elle soit enfin nobellisée.
A partir de cette histoire vraie, la désormais veuve, Joyce Carol Oates nous raconte à la manière d'un pèlerinage, l'exténuante lutte qu'elle due menée jour après jour, pour sortir la tête de ce traumatisme psychologique, qui lui fit plus d'une fois souhaiter partir avec son mari, évoquant la pratique du sati en Inde, où la femme était conduit sur le bûcher funéraire de son époux. Cette descente aux enfers, doublée d'une sensibilité exacerbée où une multitude de sentiments, parfois contradictoires (culpabilité, l'incompréhension devant la mort, la fatuité de la vie) sont l'essence de ce livre pas comme les autres, ici on touche du doigt la puissance émotive d'une écrivaine à fleur de peau, écrasée par un destin arbitraire (pléonasme !), le puissant fatum. Par ce drame, elle nous révèle une facette méconnue de sa personnalité singulièrement attachante.
Devant le séisme que constitue la disparition d'un être infiniment aimé, le sujet de la reconstruction psychologique est frontalement posée : Y-a-t-il une vie envisageable après la mort de l'autre ? Est-il même concevable d'y songer ? Pourquoi résister à l'attirance folle du suicide ? Qui se permet de séparer les êtres qui s'aiment ? Comment peut-on espérer réellement faire son deuil ? Qui a décrété cette infâme et stupide possibilité ? Les morts importantes sont installés à vie dans nos pensées, elles sont comme des balises rouges immuables, et personne n'y changera rien, il faut vivre avec, un point c'est tout. Faire son deuil signifierait les oublier en tournant une page. Impossible puisque cette page est indélébile.
A cause de l'effroyable souffrance que représente le décès de son mari, un sournois paradoxe veut que pendant des mois, elle, la grande Joyce Carol Oates, connue pour sa prolixité folle, non seulement fut incapable d'écrire le plus petit début de roman, mais n'avait pas non plus la force d'achever le moindre mot de remerciement devant le flot de sollicitudes épistolaires qu'elle avait reçue.
Deux années plus tard, mais toujours bouleversée par l'horreur de sa vie posthume, Joyce Carol Oates finira par écrire ces pages, s'identifiant à une magnifique lettre d'amour, tout simplement, comme une prolongation de leur vie commune, au-delà de la mort, outre-tombe, défiant les forces des ténèbres, grâce à l'esprit de écrit, celui-là même qui fut le ciment de leur vie d'intellectuels. Elle y explore, peut-être à la manière d'une catharsis, toutes les nuances, les émotions, les subtilités, les anomalies sinon les incongruités que lui suggère son nouveau et insupportable statut de veuve. Tel que la maladresse de chacun, face aux gens qui connaissent la détresse, où encore le fait qu'elle considère ses amies mariés comme de futures veuves ! D'ailleurs derrière ses pensées noires et destructrices, s'immisce parfois, telle une bouffée d'oxygène, un sourire, comme quand elle imagine ce dialogue : Comment allez-vous ? Je suis au bord du suicide et vous ?
Avec talent, ébranlée jusqu'aux racines de son être, Joyce Carol Oates, malgré quelques débordement dû à son éternelle faconde, nous livre une oeuvre pleine de lucidité sur le chagrin qui la submerge. L'ensemble est constellé d'épiphanies (prises de conscience soudaine et lumineuse sous forme de phrases piquantes et clairvoyantes), elle balise respectueusement son récit, tel un chemin que chacun d'entre nous devra prendre, un jour ou l'autre, car ne l'oublions pas : la vie est une maladie mortelle !
Toute la plume alerte et effrénée de Joyce Carol Oates est là, toujours ourlée d'une grande richesse, néanmoins, le volume astronomique du propos (530 pages) a faillit me lasser, comme un repas un peu trop copieux. Cette verve, cette générosité, ce flot de paroles, sur un sujet aussi noir, m'ont fait un temps redouter l'indigestion ! Hélas oui, cette biographie de veuvage n'évite pas les répétitions de situations, de courriels, des redites cassant inutilement le rythme de la lecture. C'est dommage, tant de magnifiques pages y sont écrites, notamment celle où lors d'une séance de dédicaces, une femme lui parle avec un amour fou d'une certaine Lisette de Denver ; où quand elle raconte sa première et épique installation en couple à Beaumont au Texas en 1961 ; puis leur vie à Détroit dans le Michigan en 1963, ville où les conflits raciaux explosent devant leurs regards ahuris incompréhension ; où encore quand elle parle de sa belle-famille, dont son mari Ray s'est détaché entre autre pour son absolutiste ferveur religieuse ; ah j'oubliais le jardin de leur maison à Princeton, l'antre de Ray, son domaine pur, qu'elle parcourra en pèlerine, puis tentera d'entretenir. Toutes ces pages enchante le lecteur que je suis, tant l'émotion traverse les mots, suinte des pages, inonde notre âme d'un flot d'amour. Et ça fait du bien. Elle réussira la traversée de son traumatisme grâce à l'amitié de son entourage si prévenant. La lecture terminée on est persuadé que l'union de ce couple modèle résistera aux affres du temps, même et surtout au-delà de la mort.
C'est peut-être juste anecdotique ou insignifiant voire totalement inconvenant, mais moi, cela m'a marqué, dérangé certes non, mais marqué oui, je veux parler de cette utilisation répétitive sinon abusive du mot cauchemardesque (surtout dans la première partie), d'ailleurs ce n'est pas première fois que Joyce Carol Oates utilise ce procédé (dans Les mystères de Winterthurn, c'est le mot audace qu'elle répète à l'infini), mais la raison profonde de ces redites m'interroge. Cette manière d'utiliser trop fréquemment le même mot ne peut pas être un hasard, non, derrière s'affiche un désir, une volonté, une force, comme pour marteler, insister plus ou moins lourdement par ce moyen subliminale, à moins que cette répétition s'identifie à une sorte de réflexe pavlovien ? Je dis cela, je ne sais pas ! D'ailleurs si l'un de mes aimables lecteurs pouvait m'apporter son éclairage sur ce point, je lui en serais fort reconnaissant.
Outre, ce cri d'amour désespéré, c'est indéniablement un grand moment d'une littérature extrêmement sensible, comme un hymne absolu à l'être aimé.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire