15 oct. 2015




" La confidente des morts "  de Ariana Franklin  18/20




En 1171, dans la petite ville du sud-est de l'Angleterre : Cambridge, le corps d'un enfant est découvert flottant sur la rivière la Cam. Il a été massacré de façon atroce. Aussitôt les habitants du quartier juif de Cambridge sont désignés responsables, comme les boucs émissaires éternels de tout problème humain. Afin de protéger leurs vies en évitant un lynchage en règle, ils sont obligés de se réfugier dans le château seigneurial.

Henri II Plantagenêt, roi d'Angleterre, de Normandie et d'Aquitaine par l'intermédiaire de sa femme Aliénor, s'agace de cette sanglante et innommable affaire, le lourd tribu que payait la communauté juive de Cambridge ne rentre plus dans les caisses de l'état. Cela ne peut durer plus longtemps ; le véritable assassin doit incessamment être retrouvé. Un enquêteur de renom, Simon de Naples, est dépêché depuis le continent et débarque à Cambridge accompagné d'un Maure et d'une jeune femme médecin, Adelia Aguilar, une érudite issue de l'école de médecine de Salerne, et spécialisée dans l'étude des cadavres. 

J'ai eu un intense et profond coup de coeur pour ce polar médiéval d'une haute qualité, d'abord pour son fond historique très documenté, pour les sujets brûlants abordés, pour cette ambiance moyenâgeuse admirablement reconstituée, pour ces personnages atypiques, et enfin pour cette écriture franche et vindicative. Et puis il y tant de romans sensés se dérouler dans le passé, et qui au final pêchent par un manque criant de crédibilité historique, alors que là, franchement, on s'y croirait !

Certes, la recherche de l'assassin est la pierre angulaire de tout polar, mais le talent augmenté d'Ariana Franklin, est ce regard sans complaisance qu'elle jette sur cette époque si obscurantiste et si superstitieuse. Pas tant que cela finalement, puisque 900 ans plus tard, la désignation injustifiée de la juiverie en cas de crise est malheureusement toujours de rigueur, comme une tare indélébile qui colle à la peau de notre humanité.

Et que dire de la condition des femmes en 1171 ? Toujours qualifiées par l'Eglise de pécheresses congénitales, au point qu'elles se voient toujours reléguées à l'arrière plan, juste bonnes à enfanter et à bosser sans fin, mais toujours dans l'ombre et jusqu'à une mort souvent prématurée. Et l'Eglise encore elle, cette indétrônable autorité qui fit même plier l'échine d'Henri II notamment dans l'affaire Thomas Becket, l'archevêque de Cantorbéry, cette Eglise donc qui conseillait aux femmes de revêtir l'habit pénitentiel en expiation de l'ignominie d'Eve, dont le péché est naturellement la cause originelle de la décadence de l'humanité. Bah voyons ! Comme un écho poisseux et sordide venu d'un lointain passé, qui résonne malheureusement toujours si fort dans notre actualité ! Alors pensez à Adelia, cette jeune femme médecin venue du sud de l'Italie pour étudier et disséquer les macchabées : quelle inqualifiable hérésie aux yeux des religieux ! Son savoir faire, elle devra le garder secret si elle veut éviter les accusations de sorcellerie qui l'enverraient prestement au bûcher. Méfiez-vous braves gens, le monde est plein de sorcières ! Ah décidément, quelle époque !

Dans cette société figée du XII ème siècle, et par l'intermédiaire de son héroïne, Ariana Franklin aborde aussi avec discernement la question, impensable pour l'époque, de l'abolition de la peine de mort. Comme une vision d'avenir, une direction incontournable que toute société devra prendre un jour ou l'autre pour mériter pleinement le nom de "civilisation". Malheureusement 900 ans plus tard, beaucoup de chemin reste encore à faire pour voir enfin triompher ce qui devrait être l'une des bases vertueuses d'une humanité qui se dit et se veut "civilisée".

En sus, l'auteure nous fait ressentir avec force et prosélytisme le caractère illusoire des conventions, celles qui empêchent tout progrès, mais qui sous les coups d'un destin aléatoire, d'une sauvagerie occasionnelle, peuvent faire vaciller puis choir si facilement avant de disparaître définitivement. Même les sentiments les plus fort ne sont pas imputrescibles. Il ne faut pas se faire bouffer par une assurance spécieuse. Rien n'est certain, et surtout pas l'avenir !

L'un des points forts du roman historique est son interrogation pertinente sur les actions et les conséquences. Comme par exemple avec la première croisade souhaitée par le pape Urbain II, soi-disant pour libérer les lieux saints de l'occupation mahométane en 1095. Cependant sur place, des marchands aventuriers italiens commerçaient déjà volontiers avec leurs homologues musulmans. L'orient était constitué d'une mosaïque de peuples vivants dans un climat relativement serein, jusqu'à ce que les américains... euh pardon, l'occident sous l'égide de l'Eglise, ne vienne jeter des coups de pieds dans cette fourmilière musulmane, pas si mal agencée que cela. 

Les croisades étaient bien sûr constituées de chevaliers intègres avec la foi chevillée au corps, néanmoins d'autres partirent avec l'idée de s'enrichir, quitte à assassiner ceux qui les gêneront. Cependant ces expéditions hasardeuses manquaient cruellement de volontaires, alors on recruta dans les prisons... parfois parmi la lie de l'humanité. Tous ces repris de justice, ces voleurs sinon pire, virent la rémission de leurs péchés à condition de partir libérer Jérusalem. Ah quelle aubaine ! Naturellement ils commirent d'innombrables exactions. En envahissant ces terres dîtes saintes, ces armées composites ne réussirent qu'à déstabiliser la profitable coopération qui existait depuis des générations entre des populations de religions différentes. Ce chaos eut pour résultat d'unifier les forces du monde musulman contre ces occidentaux, envahisseurs, assassins, pilleurs et destructeurs. Tout cela ne vous rappelle rien, cher lecteur, une puissance venant saccager une région de son arrogance, et laissant le chaos après son passage, ne voulant surtout pas comprendre qu'elle venait d'ouvrir une sorte de boîte de Pandore 

Par choix, imbécile sûrement, je lis peu de polar, mais là je suis tombé sur une vraie petite pépite, qui m'enchante véritablement. Je ne suis pas sûr que le mot "enchanter" soit le plus juste, aux vues des séquences macabres qui courent dans le récit, cependant le charme noir qui inonde ce livre est d'une telle maîtrise, que je suis obligé d'élever son auteure sur le panthéon des grands écrivains de thrillers médiévaux. Bref un joyau à lire toute affaire cessante pour les passionnés d'histoires médiévales... et puis... même pour tous les autres lecteurs avides de romans d'Excellence.


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