Théo Decker est un jeune ado de 13 ans habitant New-York. Par une suite de hasards successifs il se retrouve à visiter avec sa mère, une exposition de tableaux de grands maîtres hollandais. Sa mère lui raconte sa passion pour cette peinture, et particulièrement pour cette petite toile de Fabritrius : Le chardonneret. Soudain une explosion fulgurante sème la terreur dans le musée. Théo perdra sa mère dans l'attentat. Par un autre concours de circonstances, il se retrouvera en possession de ce même tableau, en dépit de son plein gré, si l'on peut dire. Dès lors, meurtri par une culpabilité immarcescible, il débutera un parcours d'errance, fait de rencontres atypiques, divergentes et trop rarement... idylliques.
Roman sur la douleur de la perte d'un être aimé, sa mère en l’occurrence, toute la question est là, gênante mais douloureusement présente, que faire de cette criarde absence doublée d'une culpabilité indélébile ? Elle cristallise tous les instants du jeune Théo, salit son présent et griffe sauvagement son avenir. Comment expliquer l'injustice du destin ? Impossible. Et surtout comment vivre les jours d'après, d'autant que son père l'ignore superbement et que ses grands-parents ont d'autres préoccupations. Son parcours d'instabilité s'affiche en parallèle des jeunes héros de Dickens, confrontés comme Théo aux vicissitudes assassines d'un implacable destin.
Roman où le bien et le mal s'entrechoquent à longueur de pages pour déboucher sur une réflexion philosophique déconcertante, qui n'a pas fini de faire parler, mais qui donne vite une envie profonde de lire ou relire L'idiot de Dostoïevski.
Ce livre s'identifie assurément à un long chemin initiatique des plus tortueux. Parfois plaisant quand Théo prend sa vie en main en découvrant le commerce et la restauration d'antiquités grâce à Hobie, ou lors de ces trop rares rencontres avec Pippa, cette jeune femme, dont la carrière de flûtiste sera anéantie par l'attentat, mais qui gardera un certain pouvoir attractif qui subjuguera Théo. Malheureusement le roman prend une tournure plus pénible quand Théo se coiffe d'une oisiveté aliénante, d'un apathisme consternant et d'une alcoolisation débordante. Certes, on peut comprendre sa déstabilisation, cependant lire tant de pages sur les affres de ses excès d'alcool, de médicaments ou de drogues, est-ce utile à la narration ? D'autant que cela peut vite s'avérer rédhibitoire.
Et puis ces 1100 pages sont étouffantes de mots. Et même s'il y a des pages magnifiques, j'ai peiné à en venir à bout, tant l'histoire est diluée au fil des pages au point que la fin n'en est pas une, en effet que deviennent les personnages que l'on a suivis si longtemps ? Mystère ! La densité du texte est telle que les chapitres se suivent sans la moindre partie de pages blanches ! Donna Tartt veut nous empêcher de respirer, de prendre des notes ou bien encore de colorier ! Un comble ! Tout s'enchaîne impitoyablement, comme une descente aux enfers dans les méandres obscures de l'âme du personnage principal, peut-être afin de coller au plus près de ses doutes, de ses ombres mentales et de sa mortification.
A la toute première vision du tableau de Fabritrius (donnant son titre au roman), mon regard est dérangé par cette petite chaîne, incroyablement courte, presque invisible au premier coup d'oeil, fixée à la frêle patte du chardonneret, comme une entrave irréversible, un emprisonnement définitif. A l'instar de Théo, portant dés l'âge de 13 ans, une même entrave, une balafre mentale, une culpabilité incontournable, qui l'entraîneront vers des horizons obscurs, voire interlopes.
Donna Tartt écrit un livre tous les 10 ans, cela s'en ressent dans l'écriture, tant tous les ingrédients du roman sont disséqués, creusés, autopsiés au scalpel. Son volumineux travail est bien là, tout y est, livré avec une générosité quasi altruiste. C'est simple, pas un mot ne manque, pas une virgule. Bref c'est nourrissant à souhait. Ah, vous reprendrez bien une ou deux phrases magnifiques de Yasmina Khadra ? Euh non merci, je n'ai plus faim, d'ailleurs j'ai les dents du fond qui baignent ! Demain peut-être, si ma digestion me le permet, merci quand même !!!
Néanmoins, mis a part quelques bizarreries que je mettrais sur le compte de la traduction, comme cette phrase improbable page 213 : Donc je suppose que je me demande si tu pourrais m'aider à comprendre ce qui a changé, et ce n'est pas la seule, il est vrai que se taper 1100 pages de traduction relève du sacerdoce, néanmoins disais-je, l'écriture dénote un travail chiadé et une grande richesse de vocabulaire, surtout sur une telle durée, un véritable tour de force.
Malheureusement, ce qui aurait pu être l'un des bonheurs de ce livre, c'est-à-dire l'univers de la peinture du XVII ème siècle, s'avère trop timoré, trop succinct. Pourtant dès que Donna Tartt parle de peinture, elle passionne le lecteur par ses remarques opportunes, ses points de vues judicieux, et on était plus à quelques centaines de pages de près ! Mais non, il faudra se contenter de ce léger fil rouge, si pertinent, subtil et subliminal à la fois !
En guise de sourire final, à la vue de la dimension hallucinante du roman de Donna Tartt, je ne résiste pas à l'envie d'avancer quelques digressions, du genre : C'est pas d'la Tartt d'en venir à bout ! où bien encore : Voici une bien grosse part de Tartt à se mettre sous les yeux, que vous ne dévorerez pas en une journée !
Bref un trop long roman s'étirant de manière ductile entre la chute et la résilience du jeune Théo. Fait d'étapes nécessaires : culpabilité, services sociaux, mentor salutaire, drogue, amitié atypique et ambigu (Boris), recherche de soi-même, amour inavouable, et enfin renaissance. Ce roman me laisse perplexe, je ne sais pas trop quoi en penser. Il aurait pu être une vraie intrigue sur fond de toiles de maîtres dérobées, avec une grande part laissée à la peinture, de celle qui vous fait traverser des océans pour la voir en vrai, tant les propos de l'écrivain vous donne les clefs pour la comprendre. Au lieu de cela on se perd avec Théo sous l'influence de substances hallucinogènes si présentes, qu'elles en deviennent presque l’héroïne du roman. Stupéfiant non ?
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