5 déc. 2015


" Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants " 
de Mathias Enard   17/20



En débarquant à Constantinople le 13 mai 1506, Michel-Ange sait qu'il brave la colère de Jules II, pape guerrier et mauvais payeur : il a en effet laissé en chantier l'édification de son tombeau à Rome.

Cependant d'un autre côté, comment ne pas répondre avec diligence à l'invitation du sultan Bajazet qui lui propose le projet faramineux d'un pont sur la corne d'Or ? D'autant que les plans d'un certain Léonard de Vinci, venaient d'être refusés par le même sultan. Une aubaine pour lui, et cela sans parler de la prime qui lui est promis... enfin cela est une autre histoire... chut !

Mathias Enard a su avec talent mettre à jour ce fait historique bizarrement oublié ou si peu connu, à savoir, la venue à Constantinople du grand dessinateur, sculpteur et architecte : Michel-Ange. C'est à partir de lettres, de dessins, de plans, d'esquisses et de personnages, tous historiquement réels que l'auteur s'est plu à tisser une toile où réalité et fantasme se mêlent pour nous servir un conte qui peut se lire de mille et une façons, en une nuit, tant le récit est court et magistralement écrit, c'est d'ailleurs ce qui frappe d'emblée le lecteur : cette plume ! Élégante, racée, précise et lyrique.

On y découvre un Michel-ange pas spécialement beau et qui ne se lavait pas. Mais aussi un artiste tourmenté, doutant de lui-même, parfois en colère, mais toujours au travail, en recherche... un vrai bosseur !

Son livre se veut comme un pont entre deux cultures qui se connaissent peu, mais que la magie de l'art, de la création et de ses mystères suffisent pour braver toutes les altérités qui auraient vite fait d'aviver une haine absurde. Ce roman est un pas vers l'irénisme, celui que nous devons suivre afin de mettre à bas tout obscurantisme suicidaire. Une oeuvre qui élève.

Belle évocation de Constantinople sous les yeux avides d'un occidental, émerveillé ou contrarié par la vie orientale. Il saura s'inspirer de ses observations pour ses constructions futures.

Même Shéhérazade, par l'intermédiaire d'une danseuse andalouse, peaufine l'ensemble, d'une sensualité débordante et d'une effroyable destinée.

Outre l'architecture, d'autres thèmes sont abordés avec délicatesse : La découverte du monde oriental, la chasteté et la luxure, la frustration du désir amoureux, les effluves enivrantes des parfums d'orient, et l'homosexualité.

Seule désolation, la brièveté des chapitres et du roman. Il ne reste qu'à le relire pour le prolonger. Je tiens à féliciter aussi l'éditeur Actes Sud/Babel pour le choix parfait de sa photo de première page, on y voit en ombre chinoise la basilique Sainte Sophie, émergeant d'une brume mystérieuse, annonçant à elle seule, tous les mystères de l'Orient.

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