Quelle passionnante idée de nous faire vivre les croisades côté Arabe ! Certes c'est un essai, mais un rien romancé, ce qui permet une lecture plaisante sans effort et fichtrement instructive ! Mais surtout ce livre nous permet de comprendre cette période avec un autre oeil, loin, très loin de nos livres d'histoire qui faisaient passer tous les chefs croisés pour des saints hommes, et les musulmans pour de méchants usurpateurs, bah voyons !
Tout commence en juillet 1096, quand un jeune sultan turc nommé Kilij Arslan est informé de l'approche de redoutables chevaliers croisés à Constantinople, d'emblée il craint le pire, et il a bien raison. Déjà en conflit avec Alexis Comnène, empereur des romains et de l'empire byzantin, Kilij Arsaln perplexe, s'interroge sur les buts de cette armée venue d'occident. Il sera vite fixé devant la sauvagerie innommable de ces envahisseurs. Dès lors ce ne sera que tueries, pillages, viols, trafics et exterminations. Inexorablement les musulmans reculent, rendus faibles par des divisions intestines et des trahisons, le pire étant la période de succession après le décès d'un sultan. Il n'est pas rare de voir même certains chefs musulmans s'allier avec des chefs croisés, pour se battre contre d'autres sultans alliés eux aussi avec d'autres chefs croisés ! Une vraie pagaille ! Mais au fond, toutes ces luttes de pouvoir débouchant sur d'horribles exactions ne sont menées que dans un seul dessein : s'enrichir ! Peu de croisés sont réellement sur place pour leur foi. Comme toujours, l'avidité est le moteur premier de ces croisades, de ces tueries, de ces luttes de pouvoir incessantes. Parfois, avec l'accession au trône d'un homme droit et magnanime, tel Saladin, un semblant de cohésion prend forme chez les musulmans, leur permettant alors de reprendre des villes importantes, comme Jérusalem, mais dès la mort de leur chef unificateur, l'union des musulmans vole en éclat, et un nouveau chaos redistribue les cartes. Ce sera finalement l'armée des mamelouks, commandée par le sultan Khalil d'origine turc qui réussit en 1291, après deux siècles de guerres quasi-ininterrompues, à mettre fin à la présence des colonisateurs croisés en Orient.
Tout le talent d'Amin Maalouf est de nous narrer les croisades du côté arabe, comme un roman d'aventure, et c'est réussi haut la main, on tourne les pages avec une avidité folle pour connaître la réalité brute de cette période. C'est avec intelligence qu'il nous donne à voir, à comprendre et à penser la face cachée de ce conflit. Le récit est clair, plaisant et très documenté. Les événements se succèdent avec une fluidité totale. Il gagne son pari de nous résumer deux siècles d'histoire en 300 pages, sans omettre les mal-nommées "petites" histoires mêlées à la grande. Comme ce séisme d'une rare violence, qui en août 1157 dévaste la Syrie toute entière, semant la mort chez les Arabes comme chez les Croisés ; les murailles des fortifications d'Alep s'écroulent, à Harran, la terre se fend en deux et laisse réapparaître les vestiges d'une cité ancienne, à Tripoli, à Beyrouth, à Tyr, à Homs, à Maara, les morts se comptent par milliers, deux villes sont rayées de la carte par ce cataclysme : Hama et Chayzar ; ou ces actes de cannibalisme perpétrés par les Croisés sur la population de Maara, non par nécessité, mais par fanatisme total ; où encore avec le prince Renaud de Châtillon assoiffé d'or, de sang et de conquête qui sous un prétexte fallacieux lance un raid punitif contre l'île byzantine de Chypre, du nord au sud tous les champs cultivés furent dévastés, les troupeaux massacrés, les palais et les couvents intégralement pillés, ce qui ne pu être emporté fut cassé ou incendié, les femmes ont été violées, les vieillards et les enfants ont eu la gorge tranchée, les hommes riches ont été emmenés en otages et les pauvres décapités ; ou pour finir quand Geoffroy de Bouillon lors de la prise de Jérusalem, fait exécuter au fil de l'épée toute la population de la ville, sans oublier de rassembler les juifs dans leur synagogue avant d'y mettre le feu ! Gentil comme tout ces Croisés ! Faut-il brûler nos livres d'histoire ?
N'oublions pas que toutes ces croisades furent mises en oeuvre par des papes successifs au nom de la religion chrétienne, au nom de Dieu ! Non ! Si, si ! Ah, que la religion est belle !
Au final, les croisades, ces colonies avant l'heure, ne sont que des fleuves de sang qui coulent sur ces terres dîtes saintes ! Que de crimes effectués au nom de la religion ! Que de massacres perpétués au nom d'hypothétiques Dieux ! Comme une gigantesque mascarade pratiquée par des hommes abusant illégalement de leur pouvoir pour s'octroyer le plus de richesse possible. Un pillage à l'échelle d'une vaste région orientale sous le large couvert d'une soi disante ambition mystique.
En fin d'ouvrage, Amin Maalouf s'aventure à donner d'intéressantes pistes sur la fin du modernisme du peuple Arabe, si brillant dans tant de domaines scientifiques, et qui, dès la fin du IX ème siècle, oublie tout, sauf l'affirmation d'une forte identité religieuse. En effet l'occident tout au long de ses croisades s'est enrichi des diverses sciences du peuple Arabe, créant une puissante dynamique à leur retour, et ininterrompue depuis. Alors que l'Orient, après avoir été intellectuellement et matériellement le dépositaire de la civilisation la plus avancée de la planète, s'est replié sur lui-même, débouchant sur de longs siècles de décadence et d'obscurantisme, comme rendu incapable de penser un avenir, incapable d'inventer à nouveau, incapable de créer un demain. Comme si la religion musulmane stérilisait peu à peu toutes velléités d’innovation ! Comme si leur âge d'or était révolu, dissout dans une religion omniprésente, engluante et paralysante. Désormais le progrès et le modernisme passera du côté de l'Occident, qui, il faut bien l'avouer, avait beaucoup de retard à rattraper. Comme preuve de cette paralysie qui persiste, songeons que de nos jours, 1650 livres sont publiés par an dans tout le monde Arabe, et que, dans le même temps aux Etats-Unis, ce sont 85 000 nouveaux livres qui sont édités ! (Source magazine Lire Janvier 2016)
Force est de constater qu'aujourd’hui encore, une grande partie de la population Arabe n'a toujours pas tournée la page des croisades, comme un ressentiment latent contre l'Occident, pour un conflit vieux de sept siècles, mais toujours en voie de digestion. D'où certainement cette haine viscérale, moteur perpétuel d'un islamisme radical, si fielleux face à un Occident synonyme à leur yeux de décadence, donc d'impureté.
Bref, je ne peux qu'encourager tout lecteur curieux de mieux connaître cette face cachée de l'histoire, de s'y plonger avidement, même ou surtout si c'est un néophyte de cette période.
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