En partant de passionnants faits historiques, l'auteur nous invite à un voyage oriental dans la Perse du XIème siècle, celle qui subit l'occupation ottomane, puis la Perse du début du XXème, celle qui ne put s'émanciper, faute de finances saines.
La première partie revêt la forme d'une biographie romancée de Omar Khayym (1048-1131), philosophe perse, l'inventeur du célèbre symbole X qui introduit l'inconnu en math, mais également astronome de génie, libre-penseur, grand sage et... grand amoureux du vin, si si, d'ailleurs il en fit d'admirables poésies !
De son oeuvre écrite, ses fameux Robaïyat (quatrains) ont fortement marqués son temps, notamment pour leur sagesse, leur clairvoyance, leur scepticisme face aux vérités de l'époque, y compris religieuses. D'ailleurs je ne résiste pas à vous en proposer une, adressée à Allah, admirable de pertinence et de justesse :
Quel homme n'a jamais transgressé Ta Loi, dis ?
Une vie sans péché, quel goût a-t-elle, dis ?
Si Tu punis le mal que j'ai fait par le mal,
Quelle est la différence entre toi et moi, dis ?
Bien sûr, il eut souvent maille à partir avec les autorités, mais la sagesse de sa langue et son esprit de lettré, lui permirent de louvoyer avec noblesse parmi les îlots d’obscurantisme qu'il rencontra.
Autre personnage, Hassan Sabbath, le fondateur de l'ordre des assassins, celui qui réussit par sa diabolique intelligence à manipuler les hommes et les foules sous couvert de la religion musulmane. Un homme redoutable et redouté dont j'ai déjà évoqué son parcours sanglant au travers du roman de Vladimir Bartol intitulé Alamut, sur lequel j'ai publié une critique élogieuse dans ces mêmes pages le 14/08/2015.
Sans oublier Nizam el Molk, le grand vizir d'Ispahan, cherchant à gouverner son pays avec bienveillance, mais soumis aux luttes d'influences de son entourage, sans oublier l'éternelle corruption, cancer de toute politique.
Cette première session, captivante et enthousiasmante de puissance narrative, se lit trop vite, on aurait aimé baigner bien plus longtemps dans cet univers dépaysant des contes de mille et une nuits. Dommage.
Puis vient la deuxième partie, se déroulant au tout début du XXème siècle, l'auteur nous explique l'impossibilité pour un pays comme la Perse de se réformer en s'offrant une constitution, au travers de la vie de Djamaleddine, intellectuel et grand penseur. Devant lui, les chefs religieux persuadèrent le shah que des élections seraient contraire à la Loi de Dieu, et puis l'état, constamment à cours d'argent pour cause de corruption, offrit des concessions à la Russie et à l'Angleterre, qui eux-mêmes, trop contentes de s'enrichir à bon compte, firent tout pour éviter le moindre changement politique en Perse, ce pays perpétuellement en lutte interne, qui fonctionne avec ses propres règles, mais qui émerveille et qui enchante toujours les occidentaux que nous sommes.
L'écriture et l'érudition de Amin Maalouf nous permet d'accéder aux portes d'un Orient fantasmé, à travers les plus envoûtantes cités d'Asie, juste leurs noms font déjà rêver : Samarcande, Boukhara, Tabriz, Nichapour, Ravy (ancienne Téhéran). Villes traversées à l'époque par la célébrissime route de la soie. Tout un monde.
C'est avec grand plaisir que Amin Maalouf nous distille de belles leçons d'histoires orientales, cependant le petit bémol du roman, c'est ce fil rouge gênant, cristallisé par le livre des quatrains de Omar Khayym, obligeant ainsi l'auteur à quelques circonvolutions peu crédibles pour relier les deux époques entre elles. Peut-être aurait-il dû étoffer ses deux parties pour en faire deux romans ? De toute façon la matière ne manquait pas ! Malgré tout, il en ressort une formidable description de personnages, de lieux, d'émanations et d'effluves dignes du Moyen-Orient.
Bref un trop petit joyau littéraire à lire pour les passionnés de voyages exotiques et d'univers envoûtant parfumés d'épices. Longtemps, longtemps après sa lecture, il vous restera peut-être un goût de sable chaud sur les lèvres, comme un appel subliminal à partir... qui sait ?
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