29 avr. 2016


" Le cantique de l'apocalypse joyeuse "  de Arto Paasilinna  16/20



Sur son lit de mort, un vieux communiste puissamment athée, demande à son petit-fils de construire dans la forêt finlandaise une église en bois. Tout l'héritage y passera, mais au coeur de cette gigantesque forêt, grâce à l'élévation de cette construction religieuse, petit à petit, une communauté va se former. Au fur et à mesure que la vie s'organise autour de ce noyau d'humains, le monde extérieur va se déliter, se désagréger au point de déclencher une troisième guerre mondiale...

Je peux comprendre que le titre peut rebuter par son improbabilité notoire, mais on aurait tort de s'en éloigner, tant le récit est riche d'une énergie atypique, qui ne peut rendre qu’optimiste.

Avec malice et virtuosité, Arto Paasilinna déploie tout un monde en gestation. Toutes les pièces nécessaire à la naissance, d'abord d'un village puis d'un bourg, finissent par s'assembler avec une simplicité, un naturel, une légèreté qui enthousiasme. Fable écologique, certes, mais aussi proposition intelligente face au défi environnemental et climatologique qui nous tombe dessus.

Ce roman est comme une bouffée d'air pur, qui vivifie, qui remet les choses à leur vraie place : comme le pétrole est devenu introuvable, les bœufs retrouvent le chemin des champs, à nouveau la nature y est exploitée avec intelligence et parcimonie, évidemment sans le moindre pesticide assassin. Les lacs voisins fournissent une pêche prolixe, tout est pensé et géré avec intelligence. Enfin ! Serait-on légitimement amené à penser !

Ce livre nous offre un sentiment de liberté, agrémenté par une vague de fantaisie, ayant pour ciment sous-jacent un humanisme singulier. Une ode à la vie, à la nature... et finalement, à la terre nourricière.

Comme un message subliminal, ce roman m'a rappelé mes lectures de jeunesse, celles où je dévorais les livres de Jules Verne avec avidité ; tant est puissant le rapport des hommes confrontés à une nature, parfois généreuse et parfois hostile, mais toujours sincère.

Il est jouissif de lire la critique d'Arto Paasilinna sur les institutions religieuses, sans oublier celle d'un monde consumériste arrivé au bout de ses outrances, et d'une taxation à tout va qui réclame toujours et encore plus. L'administration ne sachant bien souvent ne faire que cela ! Cependant, devant la réussite du projet et l'écroulement du monde, beaucoup sauront comme par hasard, retourner leur veste le moment venu.

Dans une langue onctueuse Arto Paasilinna nous redonne espoir en une humanité qui soit digne de porter ce nom. Ce livre est une parabole, une offrande, une allégorie, un cri d'amour de respect et de paix adressé au monde entier.


25 avr. 2016



" La dernière nuit du Raïs " de Yasmina Khadra  18/20



Nous sommes en août 2011 aux portes de la ville de Syrte. Filmée par un téléphone portable, le monde entier assiste à la mise à mort de Mouammar Kadhafi, les vêtements en loque, le visage et le corps meurtris sous les coups assassins des rebelles libyens qui viennent de le découvrir, caché dans une canalisation comme un vulgaire rat. Lui qui fut hier encore, reçu en grande pompe par certains dirigeants de la planète (Sarko en tête).

En ces derniers instants, offert en pâture à son propre peuple avide de vengeance, quelles pensées, quels souvenirs, quelles certitudes inamovibles ou                                             quels regrets tardifs, traversent l'esprit de celui qui fut l'impitoyable colonel libyen ?

C'est à ces abondantes questions, que tente avec brio de répondre Yasmina Khadra dans son dernier roman, admirablement porté par une mise en abîme saisissante de réalité et une écriture d'une rare perfection. Et sur un sujet aussi délicat, le résultat n'était pas gagné d'avance, c'est à cela que l'on reconnaît la patte d'un grand écrivain. Respect monsieur Khadra !

En effet, la narration est si dramatique et poignante que ce n'est plus un roman mais un reportage. Loin de son palais présidentiel, Mouammar Khadafi s'est retranché dans une école en ruine de Syrte, avec en fond sonore le bruit assourdissant des bombes de la coalition, pour compagnon un exemplaire du Coran, et comme derniers fidèles une poignée d'hommes, affamés et ivres de fatigue. Chacun d'entre eux s'entretiendra avec le Raïs, qu'il soit simple soldat ou colonel, car Khadafi, perplexe devant la ferme contestation de sa politique, cherchera à comprendre les raisons profondes du déchirement irrémédiable de son pays. Des vérités seront dites, qui feront enrager le dictateur, prétexte pour Khadra à nous faire revivre les moments essentiels de sa vie, cependant jamais, jamais le dictateur ne remettra en doute la moindre de ses actions, trouvant toujours une justification à ses agissements, à ses décisions qui celèrent de façon définitive la vie de tant de libyens. 

La mégalomanie, l'arrogance, sinon la folie de Kadhafi transpirent à chaque page. Dans sa folie délirante, il se voit comme un descendant de Dieu ! Rien que ça ! Dès lors tout ce qu'il fait devient acte sacré, tout ce qu'il dit devient parole sainte... il n'y a plus de limite à son ambition, à sa mégalomanie, à son délire paranoïaque. 

Pour savoir comment fonctionne un narcissique sanguinaire, ce livre est idéal, cependant sa difficulté de lecture réside dans le fait que l'on ne peut ressentir d'empathie pour aucun des personnages, tous baignant dans l'aura maléfique du diable en personne.


21 avr. 2016



HAIKU          Partie II

°°°°°°°°°

une abeille meurt
le monde tourne la tête
la nature pleure

hier la liberté hurlait
aujourd'hui l’innommable est partout
demain le pire est envisageable

l'or qui désire notre regard
est une fleur inquiétante 
l'orchidée

d'une grâce royale
elle érige ses aiguillons
la rose, fleur de sang

allongé dans l'herbe
je l'écoute
pousser vers l'azur


12 avr. 2016




HAIKU          Partie I

°°°°°°°°°°


ne rien faire
raisonner de silence
telle une cathédrale

grand soleil
sourire du jardin
et des hommes

en recherche de nature
la coccinelle s'envole
vers nulle part !

je suis ici
tu es là
peut-être bientôt on dira nous ?

devant nos yeux
tout est là
pourtant personne ne voit !


9 avr. 2016


" L'amie prodigieuse " de Elena Ferrante  12/20




Deux amies d'enfance, Elena et Lila vivent dans un quartier pauvre de Naples pendant les années 1950. Lila est une jeune fille entière, qui dit ouvertement ce qu'elle pense, sans ciller des yeux, c'est une meneuse, une défricheuse, une effrontée. Elena est subjuguée par la force intérieure de son amie, qu'elle porte en haute estime. Bien qu'elles soient douées toutes les deux pour les études, leur chemin va diverger : Lila abandonnera l'école pour travailler avec son frère et son père dans une cordonnerie familiale, tandis qu'Elena, soutenue par une zélée institutrice, ira au collège puis au lycée, sous le regard perplexe de ses parents. L'espiègle vie fera souvent se croiser le chemin des deux amies, désormais plus éloignées, avec en filigrane une Naples menaçante, percluse de corruption, au moment où se profile à l'horizon le chambardement de l'économie de marché, avec l'arrivée de la télévision et de l'électroménager.

C'est une histoire d'amitié avant tout, parfois faite de jalousie, de spoliation et d'insatisfaction, comme la vie quoi !

Lila, par son extravagance, son audace et ses capacités intellectuelles, sera l'aiguillon qui dynamisera Elena, qui la propulsera à un haut niveau d'étude, lui permettant de se révéler à elle-même et de s'affirmer aux autres. 

Elena Ferrante par le truchement de ses héroïnes nous croque le portrait d'un quartier populaire de Naples avec ses joies, ses misères, ses tensions incessantes entre clans, ses haines si immémoriales qu'on n'en connaît plus l'origine. Tout ce petit peuple, cette plèbe (comme dirait l'auteure) se démène pour rester à la surface d'un monde qui bouge de plus en plus, et qui menace de les submerger.

Certes ce résumé apparaît bigrement alléchant, cependant j'ai eu du mal à rentrer dans l'histoire, à m'y passionner. Pour être honnête, j'ai dû patienter jusqu'à la moitié du roman (qui comporte 430 pages) pour enfin y adhérer vraiment. Pourquoi ? D'abord je me suis perdu moult fois avec les noms des nombreux jeunes personnages, confondant l'un avec l'autre, déformant ainsi la narration. Puis viennent des banalités, des platitudes qui rallongent la sauce, mais ne font pas franchement avancer le récit. Et enfin cette Camorra napolitaine manque de présence, d'affirmation, au point que je me suis demandé pourquoi tant de gens semblaient enthousiasmés par ce roman. Puis, petit à petit, des fulgurances, des fantaisies, des hardiesses sont apparues derrière le paravent, éveillant ainsi mon intérêt qui ne cessera dès lors de croître, mais que de temps perdu en baguenauderie !

Il est fantaisiste et original de noter que cette Elena Ferrante est totalement inconnue visuellement, en effet on ne dispose d'aucune photo ou d'interview d'elle... ou de lui, car peut-être est-ce un homme qui se cache derrière ce nom !