26 déc. 2016


HAÏKU   Partie XXIX

°°°°°°°°°°°°°

dessinant sur nos vitres
de folles arabesques
givre est artiste

prisonnière dans l'étable
rêvant de pré vert
la vache d'hiver

au fond du jardin
une grosse châtaigne oscille
deux hérissons amoureux

du bémol des vaguelettes
au majeur des tempêtes
musique océane

dure table de la vie
d'où chutent parfois
des miettes de bonheur


22 déc. 2016

" Le quatrième mur " de Sorg Chalandon   18/20



D'un côté, Georges, un militant dans l'âme, toujours près à en découdre avec les fascistes de tout acabit. De l'autre, Samuel, un grec d'origine juive émigré en France, suite à la dictature des colonels. Mais Samuel souffre d'une grave maladie. Il obtient de Georges une promesse, pourtant difficilement tenable, celle de monter la pièce Antigone d'Anouilh avec une troupe d'acteurs de confessions multiples. La seule et unique représentation doit avoir lieu à Beyrouth le 1er Octobre 1982, soit en plein coeur de la guerre civile qui déchire la ville. Belle et pauvre Beyrouth : écartelée entre cinq factions issues des composantes politiques, religieuses ou ethniques de la société libanaise. Ce sont justement des hommes et femmes issus de cette ville en ruines qui seront choisi pour interpréter l'oeuvre d'Anouilh. Comédiens improbables, écartant un temps leur haine réciproque pour apporter de l'humain dans l'inhumain. Un faisceau de lumière dans les ténèbres.

Bouleversant et magistral sont les deux premiers mots qui me viennent une fois la dernière page lue. Comment rester indifférent à cette violence aveugle et absurde entre palestiniens, druzes, maronites, chiites et juifs ? Le symbole est beau : voler deux heures à la guerre pour rassembler ces ennemis sur une scène de fortune, entre cour en ruine et jardin délabré. Une trêve poétique, une parenthèse de paix pour faire fi des différences de chacun et les faire communier, deux heures de temps, dans une autre dimension grâce à la puissance de l'Art. 

Sorg Chalandon nous donne un exemple de plus de cette haine inlassablement inhalée par l'intermédiaire des religions. Tant de morts inadmissibles au nom d'un Dieu hypothétique qui gonfle d'irresponsabilité tout croyant, se voyant ainsi légitimé dans son combat contre toute autre croyance. Force est de reconnaître que l’obscurantisme à une telle puissance de nuisance, qu'elle nous ferait presque croire à l'existence du Diable !

Chacun des protagonistes est confronté à des forces noires qui les dépassent, même Georges, malgré sa montagne de bonne volonté, y cédera. La violence est-elle inéluctablement un maelstrom qui un jour ou l'autre nous happera tous ? L'Art a-t-il une chance pour pouvoir sauver le monde ? Se battre pour la paix a-t-il un sens ? Telles sont les questions abordées avec humilité dans cette tragédie sans nom.

Avec une grande maîtrise Sorg Chalandon tire des parallèles entre la jeune fille de Georges, Louise, élevée bien au calme dans un pays en paix, et les enfants de Beyrouth, fatalement meurtris, et soumis à la folie d'hommes croyants. L'auteur, par la simple chute d'une boule de glace dans le parc Monceau, exprime la relativité de toutes choses selon la position géographique de l'observateur. Ne devrait-on pas mesurer chaque chose de la vie à l'aune des pires exactions commises en ce vaste monde ? Autre écho allant dans le même sens : les réflexions des acteurs multiconfessionnels, qui, en raison de leur origine et de leur histoire personnelle, ont, de la pièce Antigone, des visions totalement divergentes. Comme si, suivant la confession religieuse d'où on observe un travail artistique, son interprétation sera fatalement distincte, et presque inaudible depuis les visions d'une autre croyance. Expliquant ainsi bien des choses, et ridiculisant tant de positions ignorantissimes.

La plume vivante de Sorg Chalandon imprime au récit une force supplémentaire. Elle intensifie les émotions, au point de parfois souffrir à sa lecture tant l'amour, l'amitié et la haine suintent de ces mots. Rarement un auteur aura autant mis en relation la force de son histoire avec celle de ses écrits.

Tout du long, le roman est bercé par le Pie Jesu du requiem de Duruflé, une oeuvre qui augmente s'il en était besoin, la dimension affective de l'ensemble.

Pour conclure, une oeuvre remarquable et tragique, impossible à oublier, telle une ode criant la vie face à tout obscurantisme primaire.

17 déc. 2016



HAÏKU   Partie XXVIII

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sommeil du grand cerf
il rêve qu'il vole
tel un cerf-volant

nez dans l'herbe
respirant
la peau de la terre

sous le vent fripon
plus de chapeau à l'épouvantail
rire des oiseaux

à travers le feuillage
le soleil
sculpte ma peau

canicule
la fraîcheur se cache
au fond de l'eau

12 déc. 2016


" Charlotte "   de David Foenkinos   18/20


Charlotte Salomon naît en 1917 à Berlin dans une famille juive. Depuis le suicide de sa tante, sa mère est devenue très dépressive, au point qu'un jour, elle avale un flacon d'opium avant de sauter par la fenêtre, Charlotte n'a que 9 ans, on lui raconte que c'est la maladie qui a emporté sa mère. Dès lors, Charlotte devra apprendre la solitude face à un père médecin, consacrant toute sa vie à son travail. Adolescente introvertie, Charlotte se libère dans le dessin, puis vite la peinture prend le relais, comme un besoin fondamental. Son père se remarie avec la célèbre chanteuse lyrique, Paula Lindberg, dont le professeur de chant nommé Alfred Wolfsohn, fera prendre conscience à Charlotte que son travail artistique est remarquable, et qu'elle doit persévérer. Charlotte tombera vite amoureuse de ce personnage ombrageux et insociable.

Mais nous sommes en 1933, et la haine accède au pouvoir : les juifs sont mis aux bans de la société. Sur les conseils d'Alfred, de Paula et de son père, Charlotte partira en France, retrouver ses grands-parents. Mais sa grand-mère se suicide à son tour. Son grand-père lui avouera alors la terrible vérité sur le décès de sa mère. C'est une fatalité dans la famille, toute les femmes finissent par se donner la mort, d'ailleurs si Charlotte s'appelle ainsi, c'est en référence à sa tante Charlotte, suicidée à 18 ans.

D'autres épreuves, plus éprouvantes les unes que les autres, ne manqueront pas de se cristalliser dans sa vie, comme un poids de plus en plus lourd à supporter. Afin de contrer le désespoir d'une grave crise existentielle, elle se lancera dans une série d’œuvres picturales retraçant sa propre histoire, pour conjurer ce mauvais sort. Cette résilience à peine menée à bout, déjà l'ombre noire du nazisme finira par grandir inéluctablement, puis par l'absorber dans sa sépulcrale spirale. Dès lors le parcours de Charlotte ne pourra être qu'une succession d'étapes, toutes funèbres et désespérément macabres.

David Foenkinos accouche d'un texte magnifique de concision, de poésie et de noirceur. Inspirée de la vraie vie de cette artiste peintre allemande assassinée à 26 ans, l'auteur aura dû faire face à une longue période de maturation avant de se lancer dans ce projet ambitieux.

Il y des livres sombres, que j'ai pu lire sans qu'ils ne m'attristent plus que cela, mais celui-ci est un choc, qui persiste longtemps encore après sa lecture, en vérité inoubliable puisque atypique. L'agencement du texte y est pour quelque chose, en effet, ces phrases courtes concluent par un point, avant de revenir systématiquement en début de ligne, ralentissent le rythme de lecture, mettent en exergue chacune d'elles, leur donnent intrinsèquement plus de poids, dilatant ainsi leur sens et leur puissance. D'où cette impression subliminale d'une longue poésie, d'autant que l'écrivain manie les mots avec une rare dextérité, dans cette écriture inspirée et vibrante d'émotion. Impossible dès lors de ne pas être touché dans son corps et dans son âme par ce roman original, mais dans le bon sens du terme.

David Foenkinos mêle à la narration pure ses démarches d'enquêteur de terrain pour s'imprégner des lieux où vécut Charlotte, donnant à l'histoire une véracité supplémentaire. D'ailleurs, après avoir refermé la dernière page, l'envie est forte de découvrir les peintures de l'artiste, comme un besoin de continuer le voyage, de mettre des images sur les maux.

David Foenkinos réussi l'évocation du destin tragique d'une artiste puissamment habitée par l'art pictural. Donnant grâce à sa façon d'écrire une aura, une envergure additionnelle au tragique du récit. Sans doute son roman le plus noir, mais son meilleur roman, d'ailleurs en cette année 2014, il fut couronné du Renaudot et du Goncourt des lycéens.

9 déc. 2016


" Chanson douce "  de Leïla slimani      14/20


Myriam est une mère de deux très jeunes enfants, Mila et Adam, mais ce rôle maternelle ne la comble pas, son métier d'avocate lui manque. Malgré les réticences de son mari Paul, ils partent donc à la recherche de la nounou idéale. Après un casting drastique, ils pensent avoir trouvé la perle rare en la personne de Louise, femme plutôt effacée et veuve. D'autant que leurs deux bambins tombent vite sous l'affection de cette nounou efficace et très aimante, une vraie Mary Poppins, la magie en moins !

De part son implication totale dans la vie du jeune couple, Louise, en vraie fée du logis, va rapidement devenir irremplaçable. Cette dépendance mutuelle va peu à peu faire naître d'étranges sentiments au sein du couple, comme si un piège était en train de se refermer sur eux-mêmes, les approchant petit à petit de la tragédie finale, puisque dès lors, le ver est dans le fruit.

Contradiction absolue entre le titre du roman, qui n'évoque que volupté, et son saisissant incipit : Le bébé est mort. Comme-ci sous toute mer tranquille où le noheur s'invite souvent, l'ombre du malheur rôdait en permanence, comme son corollaire. Ainsi l'histoire débute par le dénouement : Louise, nourrice parfaite, assassine les deux enfants dont elle a la charge. Mais malgré notre connaissance du drame à venir, Leïla Slimani possède l'art de faire monter le suspense par petites touches, mine de rien, elle remonte un à un les fils tendus vers le drame. C'est au rythme d'une écriture simple mais précise et sans grandiloquence, qu'elle nous distille une narration pleine de quiétude et de moelleux, avec juste une pointe mélancolique, qui accentue le côté Chanson douce du titre.

Le point fort du roman est sans nul doute la rencontre entre deux mondes parallèle, si éloignés qu'ils ne peuvent se comprendre. D'où cette fracture abyssale entre les gens de peu, toujours démunis, qui jour après jour, galèrent tels des spectres urbains, pour maintenir la tête hors d'eau, face à une classe moyenne supérieure, économiquement dominantes, pris dans le maelström de leur carrière, et donc, volontairement ou pas, ignorante des difficultés d'existence de son petit personnel. Leïla Slimani remet en quelque sorte au goût du jour la dialectique si universelle du maître et de l'esclave. Malgré tout, elle ne juge jamais ces protagonistes, elle se contente de décrire ce qui est, c'est tout, mais c'est déjà beaucoup. 

Ce roman pose intelligemment la question sur nos modes de vies actuels. Faut-il sacrifier sa vie professionnelle pour se permettre de voir grandir ses enfants ? Ou vaut-il mieux suivre ses ambitions carriéristes afin de se réaliser professionnellement, au risque de vivre souvent de grands instants de frustrations profondes, devant des enfants que l'on a peu vu mûrir.

Malgré les qualités du roman, il reste une part d'ombre que Leïla Slimani n'élude pas. En effet, du passé de Louise trop peu de choses nous sont réellement révélées. Difficile dès lors d'adhérer totalement au mouvement de bascule, qui fait d'une femme que le destin n'a pas ménagée, une sombre et froide meurtrière. La fin également nous percute trop vite, me laissant un goût bizarre d'inachevé sous les doigts. Est-ce une volonté délibérée de l'auteure de nous laisser en suspend, comme-ci les 12 dernières pages du livre, toutes absolument vierges d'écriture, étaient là pour nous faire comprendre que l'on ne sait jamais tout de tout ? Que chaque chose garde toujours une part de mystère ? Que rien ne s'explique à 100% ? Quoiqu'il en soit cela gâche notablement mon plaisir de lecture. Peut-être suis-trop rationnel? Dommage !

Bref, Une chanson douce est un roman qui tient en haleine, parce qu’il diserte sur notre conception de l'alliance forcément bancale entre l'éducation et la vie professionnelle, également sur les sempiternels rapports de dominations inhérentes à l'argent, et enfin sur les impérissables préjugés de classe. 

Pour conclure, c'est un émouvant portrait croisé et un hypnotisant huis clos. L'ensemble nous rappelle qu'il ne jamais fait jamais oublier que derrière la façade tragique de beaucoup d'histoires, il y a un toujours un si légitime cri de vie, une simple et banale recherche d'amour. Cet amour qui fait tenir debout.

7 déc. 2016


HAÏKU   Partie XXVII

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

fin juin -
allumage des hortensias
fête au jardin

petit matin d'été -
quel bonheur 
pieds nus dans la rosée

Hortense y a du plaisir
lorsque juin
ouvrent les hortensias

sur le mur blanc
un point rouge -
feu le moustique

qui hume les lys
repart...
le nez en jaunisse !

4 déc. 2016

" A quoi rêvent les loups "   de Yasmina Khadra  18/20


Fin des années 80 en Algérie, Nafa Walid est un jeune algérois vivant à Bab-El-Oued dans la casbah. Malgré son origine modeste, il se rêve en acteur de renommée internationale, d'ailleurs un metteur en scène l'engage sur son long métrage, mais depuis... plus rien. Pour patienter, il devient le chauffeur d'une très riche famille d'Alger, l'occasion pour lui de découvrir un monde au-delà de toute rationalité, où les lois de l'état ne s'appliquent pas. Il en fera la cruelle expérience, terrorisé pas ce qu'il a vu, il finira par démissionner. Mais le traumatisme est si profond qu'il va le broyer peu à peu. Dès lors, comme l'enclenchement d'un mécanisme diabolique, il glissera inexorablement sur la pente de l’innommable.

Parce qu'une graine saine s'est vue humiliée par des hommes immoraux et corrompus, lui ayant fait perdre le respect d'elle même.

Parce que cette graine désormais altérée et vulnérable, s'est vue revalorisée fallacieusement par des recruteurs islamistes.

Parce qu'avec l'ébranlement psychologique dans laquelle elle est tombée, cette graine déroutée finit par se mettre à dos sa famille, brouillant ses repères.

Parce qu'en ces années 80/90, une guerre civile née d'un état corruptible, vénal, immoral et inique, opposant les militaires à des bandes armées islamistes dans une série d'exactions sans fin. 

Parce que tout cela, plus des circonstances particulières, cette graine qui ne demandait qu'à pousser normalement s'est muée en un abominable monstre froid, comme tant d'autres jeunes gens rendus vulnérables par les contorsions d'un état et l'obscurantisme des fanatiques religieux.

Comme toujours, Yasmina Khadra nous propose une histoire déroutante, écrite avec une efficacité absolue. Ses protagonistes sont criants d’authenticité. A son habitude, le style est maîtrisé, l'écriture ciselée, un vrai travail d'artisan de haut niveau. D'ailleurs tous ces romans sont d'un maintien remarquable, aucun déchet dans sa production, aucun compromis ou facilité dans ses écrits. Peut-être pour lui, dans les années à venir, un prix Nobel de littérature pour couronner sa carrière ? A mes yeux, cela ne serait nullement volé. Longue vie à cet homme, et qu'il nous enchante encore longtemps avec son excellente écriture.