" Chanson douce " de Leïla slimani 14/20
Myriam est une mère de deux très jeunes enfants, Mila et Adam, mais ce rôle maternelle ne la comble pas, son métier d'avocate lui manque. Malgré les réticences de son mari Paul, ils partent donc à la recherche de la nounou idéale. Après un casting drastique, ils pensent avoir trouvé la perle rare en la personne de Louise, femme plutôt effacée et veuve. D'autant que leurs deux bambins tombent vite sous l'affection de cette nounou efficace et très aimante, une vraie Mary Poppins, la magie en moins !
De part son implication totale dans la vie du jeune couple, Louise, en vraie fée du logis, va rapidement devenir irremplaçable. Cette dépendance mutuelle va peu à peu faire naître d'étranges sentiments au sein du couple, comme si un piège était en train de se refermer sur eux-mêmes, les approchant petit à petit de la tragédie finale, puisque dès lors, le ver est dans le fruit.
Contradiction absolue entre le titre du roman, qui n'évoque que volupté, et son saisissant incipit : Le bébé est mort. Comme-ci sous toute mer tranquille où le noheur s'invite souvent, l'ombre du malheur rôdait en permanence, comme son corollaire. Ainsi l'histoire débute par le dénouement : Louise, nourrice parfaite, assassine les deux enfants dont elle a la charge. Mais malgré notre connaissance du drame à venir, Leïla Slimani possède l'art de faire monter le suspense par petites touches, mine de rien, elle remonte un à un les fils tendus vers le drame. C'est au rythme d'une écriture simple mais précise et sans grandiloquence, qu'elle nous distille une narration pleine de quiétude et de moelleux, avec juste une pointe mélancolique, qui accentue le côté Chanson douce du titre.
Le point fort du roman est sans nul doute la rencontre entre deux mondes parallèle, si éloignés qu'ils ne peuvent se comprendre. D'où cette fracture abyssale entre les gens de peu, toujours démunis, qui jour après jour, galèrent tels des spectres urbains, pour maintenir la tête hors d'eau, face à une classe moyenne supérieure, économiquement dominantes, pris dans le maelström de leur carrière, et donc, volontairement ou pas, ignorante des difficultés d'existence de son petit personnel. Leïla Slimani remet en quelque sorte au goût du jour la dialectique si universelle du maître et de l'esclave. Malgré tout, elle ne juge jamais ces protagonistes, elle se contente de décrire ce qui est, c'est tout, mais c'est déjà beaucoup.
Ce roman pose intelligemment la question sur nos modes de vies actuels. Faut-il sacrifier sa vie professionnelle pour se permettre de voir grandir ses enfants ? Ou vaut-il mieux suivre ses ambitions carriéristes afin de se réaliser professionnellement, au risque de vivre souvent de grands instants de frustrations profondes, devant des enfants que l'on a peu vu mûrir.
Malgré les qualités du roman, il reste une part d'ombre que Leïla Slimani n'élude pas. En effet, du passé de Louise trop peu de choses nous sont réellement révélées. Difficile dès lors d'adhérer totalement au mouvement de bascule, qui fait d'une femme que le destin n'a pas ménagée, une sombre et froide meurtrière. La fin également nous percute trop vite, me laissant un goût bizarre d'inachevé sous les doigts. Est-ce une volonté délibérée de l'auteure de nous laisser en suspend, comme-ci les 12 dernières pages du livre, toutes absolument vierges d'écriture, étaient là pour nous faire comprendre que l'on ne sait jamais tout de tout ? Que chaque chose garde toujours une part de mystère ? Que rien ne s'explique à 100% ? Quoiqu'il en soit cela gâche notablement mon plaisir de lecture. Peut-être suis-trop rationnel? Dommage !
Bref, Une chanson douce est un roman qui tient en haleine, parce qu’il diserte sur notre conception de l'alliance forcément bancale entre l'éducation et la vie professionnelle, également sur les sempiternels rapports de dominations inhérentes à l'argent, et enfin sur les impérissables préjugés de classe.
Pour conclure, c'est un émouvant portrait croisé et un hypnotisant huis clos. L'ensemble nous rappelle qu'il ne jamais fait jamais oublier que derrière la façade tragique de beaucoup d'histoires, il y a un toujours un si légitime cri de vie, une simple et banale recherche d'amour. Cet amour qui fait tenir debout.