28 mai 2017


" Grace O'Malley "   de Ann Moore   12/20



      En Irlande, dans le comté de Cork, autour des années 1840, Grace O'Malley, une belle jeune fille rousse de 15 ans, au caractère et au courage affirmés, se voit contrainte d'épouser Bram Donnelly, le fils d'un seigneur anglais, les raisons financières prônant largement sur les sentiments. Mariée, elle découvre alors la face cachée de Bram, un homme violent et alcoolique, ayant déjà deux fois été veuf, et qui n'a qu'un seul désir, engendrer un héritier mâle.
      Été 1845, le mildiou s'abat sur les cultures de pommes de terre, nourriture de base des paysans irlandais. Dès lors, la famine s'étend sur le pays. Paradoxalement, les ports restent ouverts sous la pression des négociants anglais, et l'Irlande continue d'exporter de la nourriture. Naturellement, la population se révolte, l'Angleterre déploie alors des forces militaires, combattant sévèrement tout trouble de l'ordre et toute contestation de son autorité.

      Rendons "Grâce", si je puis dire, à Ann Moore de notre offrir une version romancer de la terrible famine qui sévit en Irlande pendant la moitié du XIXème siècle, car les écrits sur cette période ne sont pas pléthores (D'ailleurs même celui-ci n'est plus réédité ! J'ai dû me le procurer dans une bibliothèque, et encore, ce ne fut pas simple !).

      Malheureusement, le style très scolaire de l'écriture, des personnages trop caricaturaux (il y a les méchants et les gentils, jamais de remise en question ni de rédemption, tout est blanc ou noir), et une narration qui laisse peu de place à la surprise, ne font rien pour élever ce roman au dessus de la moyenne. Ironie de l'histoire si je puis dire, beaucoup des protagonistes importants, entourant Grâce, finissent par mourir corps et âme, mais bizarrerie du récit, aucun ne meurt par manque de nourriture en pleine période de famine ! Hallucinant !

      J'attendais de l'étonnement, des coups d'éclats, de la provocation et des fulgurances intempestives, mais non, il n'en fut rien. On reste constamment dans un roman classique, basique, avec son histoire d'amour contrariée, dont l'on devine facilement la fin. Bref un roman tout à fait grand public, donc sage, docile et facile à lire. La meilleure façon d'avoir un lectorat plus ample.

      Heureusement il y a les descriptions de cette terrible famine, pour captiver un temps soi peu le lecteur, avec son lot de questions bien légitimes qui m'ont, là, fortement intéressées : Pourquoi a-t-on laissé les irlandais mourir de faim, alors que des bateaux entiers de grains irlandais quittaient le port de Dublin pour l'Angleterre ? Comment des propriétaires britanniques qui n'ont jamais mis les pieds sur l'île peuvent-il exiger des loyers exorbitant d'un peuple qui vit là depuis des milliers d'années ? Pourquoi le peuple irlandais n'a t-il pas le droit de posséder ses propres terres ? Et même de promulguer ses propres lois pour améliorer ses conditions de vie ? Pourquoi les forêts irlandaises ont-elles été pillés pour construire les villes anglaises sans le moindre reboisement ? De quel droit, l’Angleterre s'est-elle autorisée à spolier totalement l'Irlande, sans songer une seule seconde à ses habitants ? Et cela depuis la fin du XII ème siècle, période pendant laquelle l'Angleterre a commencée à s'approprier tout l'ouest du territoire irlandais. L'entièreté du pays suivra en 1494, d'ailleurs Henri VIII prendra le titre de roi d'Irlande en 1541. Débutera alors une confiscation systématique de toutes les terres. Heureusement, certaines personnalités anglaises ont dénoncer cette façon de faire pour le moins dictatorial. Cet historique, peu connu de l'homme moyen, explique cette rancoeur immémoriale des irlandais vis à vis des anglais, au point absurde de voir l'Irlande rester neutre dans les deux grands conflits mondiaux. Elle interdira même au Royaume-Uni l'usage militaire de ses ports et de ses aéroports pendant la seconde guerre mondiale. Et je ne parle pas de l'IRA.

      Ma décision de choisir cette lecture vient justement de son encrage dans cet épouvantable drame irlandais. Ce gros roman fait partie d'une trilogie, la deuxième partie évoquant l'émigration irlandaise débarquant aux Etats-Unis. J'en reparlerai donc dans ces pages.
          A noter que la vraie Grace O'Malley fut une femme pirate irlandaise qui vécut de 1530 à 1603.

     Admirable sur le plan historique, bien qu'un rien succincte, mais quelque peu calamiteuse pour l’enrobage trop classique de sa narration sans grande imagination. Cette fresque mieux maîtrisée aurait pu être d'une très grande facture. Imaginons l'histoire prodigieuse qu'un Victor Hugo aurait pu faire en tirer ! D'autant que ce tragique épisode irlandais est contemporain de la vie du M. Hugo.



21 mai 2017


" Beloved "   de Toni Morrison   10/20


      Vers le milieu du XIXème siècle dans l'Ohio, Sethe, une jeune femme noire vit avec sa belle mère, Baby Suggs, ses deux fils, Howard et Buglar, et sa fille Denver. La maison qu'ils habitent est hantée par le fantôme d'une petite fille : les meubles dansent, les miroirs se brisent, les biscuits secs s'écrasent contre les portes et des pâtisseries sortent du four avec l'empreinte de deux petites mains. Épouvantés, ses deux garçons finissent, un beau jour, par s'enfuir. 
      Le retour de Paul D, un ancien esclave qui vivait dans la même plantation qu'elle, bouleverse Sethe, elle revit alors son passé si douloureux de femme esclave. Puis un jour, Beloved, arrivant de nulle part, surgit dans la vie de Sethe. Qui est cette belle jeune fille, qui semble éteinte de l'intérieur ?
      Surtout, si vous voulez vivre ce livre à fond, ne lisez pas la quatrième de couverture qui annonce trop vite la teneur réelle de la tragédie qui a eu lieu.

      Le roman se déroule comme une spirale infernale, où des fragments de la vie de Sethe remontent des limbes du passé, à l'instar de ses frères humiliés, moins considérés que du bétail, souvent battus, parfois massacrés, si ce n'est carrément pendus. Sethe se remémore toutes les ignominies dont sont capables les hommes blancs, quand aucune loi n'est là pour stopper leurs actes purement racistes. Toni Morrison dénonce froidement ces injustices innommables d'hier, mais ont-elles vraiment toutes disparues aujourd'hui ?
      Certes, il y a le plus souvent, une certaine qualité d'écriture, mais parfois, je me suis perdu, noyé, submergé par des vagues de mots décrivant des situations qui sortaient de je ne sais où ! Cette lecture m'a posé d'énormes problèmes de compréhension basique. En effet, aucun ordre linéaire du récit n'est respecté : les époques se mélangent allègrement, sans la moindre indication. Les parties narratives sont troquées de tous éléments positionnant clairement les protagonistes de l'histoire. Dès lors il convient au lecteur de se reconstituer lui-même le fil du drame avec un manque singulier de facteurs et de paramètres. J'ai passé mon temps à courir après le chaînon manquant, sans jamais vraiment mettre la main dessus, ou alors je n'avais que de minces fragments dans la main, non emboîtables les uns dans les autres. Des bouts bien insignifiant de vérité, ridicules face à la gravité du récit. Comme si je m'adonnais au plaisir, tout illusoire, d'assembler un puzzle représentant un tableau de Jackson Pollock ! Le célèbre peintre américain de l'impressionnisme abstrait. Quel gâchis, quel dommage de voir cette tragique histoire du peuple noir, si bouleversante, si poignante d'horreur et de folie humaine, noyée sous des monceaux de phrases alambiquées, du genre : Hors de ma vue monsieur, loin, loué soit Son Nom, du patron des coqs ravis, Paul D se mit à trembler. Ou encore : Le dernier des hommes du Bon Abri, nommé et désigné comme tel par quelqu'un qui était censé savoir, y croyait. Les quatre autres y avaient cru aussi, dans le temps, mais ils avaient disparu. Celui qui s'était perdu, avait jamais été retrouvé. Naturellement, avec un tel discours difficile de savoir qui est qui ! Allez-vous débrouiller avec ça ! Est-ce due à la traduction ? A un manque flagrant de culture de ma part ? A l'état lamentable de mes facultés cognitives ? Ou à la volonté intime de Toni Morrison d'écrire de manière sibylline, presque abstraite pour ne pas dire fumeuse ? Je ne sais. D'autant que Toni Morrison s'est vue décernée le Nobel de littérature en 1993, et que ce roman a obtenu le prix Pulitzer en 1988 !
      Franchement, j'ai failli stopper ma lecture plus d'une fois, perdu au fin fond de nulle part, mais à cause du Pulitzer, je me suis dit : cela doit bien finir par prendre forme à un moment ou un autre... mais non, décidément pas ! Et cela sur presque 400 pages !

      Quelle ampleur ce roman aurait-il pu atteindre si sa narration n'était pas si tarabiscotée ? Quelle puissance supplémentaire aurait-il pu développée si sa sophistication extrême avait eu plus de retenue ? Grand dommage.


18 mai 2017



HAÏKU   Partie LI

°°°°°°°°°°

féerie du ciel
caressant la nature
de doigts de lumière

travail d'écriture
passage du chat
rature

toujours en cavale
fuyant vers l'infini
l'insaisissable temps

vieux greniers -
la poussière du temps
estompe les souvenirs

demain
aujourd'hui sera hier
et demain sera aujourd'hui


12 mai 2017


HAÏKU   Partie L

°°°°°°°°°

derniers feux du soleil -
sous le ventre des nuages
aquarelle de rose

rires perlés
échappés
d'entre ses petits doigts

deux doigts de Bach
à fleur d'oreilles
un goût d'universel

méditation au lit
élévation de l'âme
mais pas que !

rencontre fortuite
moment rare
merci la vie

8 mai 2017



" Pour trois couronnes "   de François Garde     15/20


Proposant d'aider une amie à trier les papiers de son grand-père décédé, Philippe Zafar, un trentenaire d'origine libanaise, s'invente un métier qu'il a du mal à notifier : archiviste ultime ou documentaliste funéraire ou encore classificateur post-mortem, finalement il opte pour une expression plus neutre : curateur aux documents privés. 
      Sa petite entreprise multiplie vite sa clientèle. Un jour, dans le bureau de feu Thomas Colbert, un magnat du commerce maritime, Philippe tombe sur un bref texte manuscrit, fort préjudiciable pour son auteur.
      S'agit-il d'aveux dissimulés du défunt ? D'une excentricité déplacée ? D'une confession travestie pesant sur la conscience de Thomas Colbert ? Avec l'accord de la femme du défunt, Philippe va s'attaquer à ce mystère, mais l'enquête va vite l'emmener sur un terrain glissant, peut-être même dangereux.

      Pour trois couronnes est le type de roman dont on ne sait à l'avance ce qu'il contient, un bienfait pour tout lecteur amateur d'imprévu sinon de déroutant. Comme l'action se déploie sur un siècle et est narrée sous forme de dialogues avec moult personnages successifs, faut-il pour autant parler de roman d'aventures ? D'autant que l'on aborde des thèmes aussi variés que baroques tels que : le militantisme contestataire, la numismatique, l'amitié entre matelots, l'écrivaine Karen Blixen, la guerre civile, le passage des baleines, la médecine gynécologique, la politique insulaire et les liens de parenté, sans oublier l'évocation d'un système social dominé par les femmes : le matriarcat. Devant pléthore de sujets évoqués, en seulement 300 pages, on peut considérer, en étant raisonnable, que cela fait un peu trop. Cependant, le talent de l'auteur zigzague sur cette contradiction avec une troublante aisance de gazelle.

     Difficile d'en parler plus sans spolier le mystère principal, car il y a secret de famille, un secret qui a dû se nicher dans les consciences d'un certain nombre de familles aisées, au cours des siècles passés, avant l'arrivée d'une certaine technologie médicale. Ah, peut-être en ai-je déjà trop dit ! De toute façon, ce mystère sert de prétexte pour nous proposer une vision, une perception d'une époque pas si lointaine que cela. Et puis, comme un leïmotiv sous-jacent dans tous les chapitres, cette interrogation : Que faire du passé ? S'en affranchir ? Le reconnaître pour ce qu'il est ?

      Derrière une écriture agile et plaisante, on devine un bourlingueur au long-cours, un homme ayant respiré les alizés avec envie, un assoiffé de voyages lointains et un passionné, un curieux de l'autre, de celui et de celle qui pensent différemment de part sa situation géographique.
       Devant l'éventail de points historiques relatés, on s'interroge légitimement sur la véracité de tous ces éléments. Entre les lignes, on sent sourdre l'envie de François Garde de s'emparer goulûment d'un méli-mélo social et politique, couplé à des lieux imprécis (au lecteur de les reconnaître), pour en accoucher d'un récit à la fois plausible, singulier et représentatif d'une époque. Recomposer de l'attractif à partir des brides disparates du passé, voilà la plus belle réussite de l'auteur.

      Difficile de ne pas se laisser emporter et embarquer au fil des pages par l'originalité de ce roman qui fleure si bon les terres australes. D'autant que ces escales se muent en réflexion sur la paternité, la succession et le lourd fardeau du passé. 





6 mai 2017



" Beaux rivages "   de Nina Bouraoui   13/20


      Comme le disait la chanson : Les histoires d'amour finissent mal... en général. Avec une écriture éminemment à fleur de peau, Nina Bouraoui nous conte la survivance d'une femme de 43 ans confrontée au brusque arrêt de sa relation avec Adrien, après huit ans d'amour.

      Histoire à la fois banale et universelle, où tout lecteur ou lectrice pourra s'identifier, peu importe sa classe sociale, et compatir au fait que chaque victime de rupture amoureuse devient, pendant plus ou moins longtemps, un être si faible, si impuissant, si misérable.

      Dans le cas de la narratrice, juste connue sous la lettre A, tout avait parfaitement commencé : elle habite Paris, son amant en Suisse à Zurich. La situation idéale quand on ne souhaite que partager les moments privilégiés de la vie à deux, sans s'encombrer des plombants temps morts du quotidien. Tous les deux étaient parfaitement heureux de n'être ensemble que pour le plaisir, même si les voyages nécessaires à se rejoindre devenaient fastidieux au fil du temps. Et puis, ils étaient idéalement en harmonie, tant sexuellement que sur le plan relationnel, aucun grain de sable à l'horizon. Elle se voyait bien finir ses jours avec Adrien. Les années se succédaient sans heurt, ou si peu. C'était l'homme idéal, la panacée quoi !
      Et l'impossible lui tombe dessus : l'abandon immédiat, sans prévenir. La noyade pour elle. Désarroi abyssal. La fin de son monde. La symétrie irrémédiablement rompue. Le cauchemar.
      La responsable, l'AUTRE qui n'est même pas plus jeune qu'elle, mais pour Adrien elle a le goût de la nouveauté et elle habite Zurich. L'AUTRE possède un blog plus ou moins érotique, qui lui sert entre autre de journal intime. Notre narratrice le suit avidement, dans un masochisme éreintant psychologiquement.
      Débute alors une lente descente aux enfers, avec insomnie, manque d'appétit et plongée médicamenteuse. Elle en maigrira fortement. Aucune bouée en vue, d'autant qu'Adrien conserve toujours les clés de chez elle, et continue de lui parler au téléphone. Une psychologue altruiste lui apportera un premier réconfort, avant que la vie, dans ce qu'elle a de sublime et de désespérant, lui insuffle petit à petit l'idée de la possibilité d'un demain. Mais le chemin sera long et laborieux.

      Nina Bouraoui excelle dans l'exploration, sinon la dissécation, des sentiments amoureux, ceux qui vous portent jusqu'à l’acmé du bonheur, comme ceux qui vous rendent malheureux comme les pierres. En véritable radiographe de la séparation, elle met tout sur table, aucune pudeur n'est permise, tout sonne vrai, du pur éclat de la douleur, de celle qui vrille le corps pour longtemps.

      Pléthores d'interrogations surgissent au fil des pages : L'amour existe-t-il vraiment ? Le bonheur n'est-il juste qu'une impression, une sensation fugace ? Ou ne faut-il simplement rien attendre de l'amour, ce sentiment si insaisissable, si abstrait ? La vie n'est-elle au final qu'une série de ruptures, infinies, douloureuses et universelles ? L'amour peut-il encore se vivre dans l'insouciance ?

      Seul bémol de l'histoire, le personnage d'Adrien manque de consistance, d'épaisseur. Il est trop loin, trop distant et avec si peu d'implication. Il ne s'explique jamais vraiment, ou ses explications trop succinctes laissent tant de vide, tant d'incompréhensions, que je ne peux ni développer de l'empathie ni lui trouver des excuses. Faut-il mettre uniquement cette rupture sur le compte de la nouveauté ? D'autant que l'amour qui le liait à A semblait imputrescible, solide comme du béton armé, l'osmose absolue, inégalable dans le temps d'une vie. Adrien est donc un salaud, un salaud magnifique, mais un salaud quand même. Le roi des goujats. Rien objectivement ne le défend, ni ne le dédouane, et cela me gêne. Vous me direz que je suis bien naïf, qu'il fallait qu'il agisse ainsi pour expliquer l'état de déliquescence d'A. Mais quand même ! Il est comme une cause perdue, indéfendable. Noir de chez noir.

      Comme le dit si bien Nina Bouraoui, ce livre est : Pour ceux qui ont perdu la foi en perdant leur bonheur. Pour ceux qui pensent qu'ils ne sauront plus vivre sans l'autre et qu'ils ne sauront plus aimer. Je n'aurais pas dit mieux.