" Le coeur du pélican " de Cécile Coulon 11/20
Un couple sans histoire avec deux enfants, Helena et Anthime, emménage dans une bourgade terne, comme tant d'autres. Durant son parcours scolaire, Anthime se fait remarquer pour sa rapidité exceptionnelle à la course. Pris en main par un coach frustré, il gravit vite les échelons pour atteindre un niveau fort honorable. Devant ses succès insolents, les habitants de la région l'ont surnommé le Pélican, une sorte de mythe référence de la localité, le début de la gloire.
Mais un jour, lors d'une compétition essentielle, ses tendons mal entraînés le trahissent en plein élan. Foudroyé par la trahison de son corps malmené, il comprend qu'il devra oublier toute espérance de reprendre la course. Dans sa chute, il perd ses rêves de notoriété, de grandeur, et d'estime de soi. Dès lors, sans volonté, il s'enfoncera dans une médiocrité facile. Faisant le sacrifice de son amour pour Béatrice, il se laissera épouser par Joanna, une femme sans charme ni attrait, et deviendra un type bedonnant et maussade.
Vingt ans plus tard, une humiliation giflera méchamment son orgueil. Sa colère lui redonnera des ailes, mais pour quel destin ?
Incontestablement, le point fort de ce roman est cette écriture à fleur de peau et au style si incisif. Avec une précision chirurgicale, elle dissèque les sentiments d'amour, de violence, de souffrance, de rage et de désespoir des quatre principaux protagonistes. De même les sensations de douleur et de joie de tout coureur à pied sentent le vécu, l'expérience réelle. Pas de doute, Cécile Coulon ne peut que pratiquer assidûment cette discipline, les descriptions y sont trop justes, trop appropriées, pour être dues au hasard aléatoire de son imagination.
Maintenant, le gros bémol de ce roman réside dans la crédibilité et la logique psychologique des personnages. D'abord Anthime, ce roi déchu, qui tente un dernier tour de piste, est d'un calme olympien tout au long du récit. Puis, dans la dernière partie où il est âgé de 38 ans, on apprend que sa sérénité était feinte, trompeuse. En effet, toute sa vie il fut un rebelle caché, un contestataire silencieux, un être en souffrance de l'intérieur, qui a toujours exécré tout ce que fut sa vie, sauf sa soeur avec qui il partageait une complicité limite compromettante. Apparemment il ne prenait aucun plaisir à courir, s'il le faisait c'était pour les autres, pour leur faire plaisir. Ce sont les foules en l'acclamant qui sont responsables de la vie sportive qu'il a eu. Certes, il est vrai que dans une certaine mesure l'attitude des autres peut nous influencer dans nos propres actions, nos propres décisions, mais de façon relative, à la marge. Vouloir tout rejeter sur les autres dénote une absence cruciale de jugement, de libre arbitre. Faut-il lire que chaque individu ne serait en rien responsable de lui-même ? Ce n'est pas moi, ce sont les autres, Monsieur, ils m'ont tellement endoctriné avec leur désir de m'aider. Allons allons, du discernement, de la subtilité, une gamme de nuances manque cruellement à cet extrémisme comportemental.
De plus, toute cette haine accumulée pendant 38 ans, ressort d'un seul coup dans une scène ultra violente, quasi insoutenable. Le frêle adolescent qui la subit, bizarrement n'en meurt pas, il s'est pris l'équivalent d'un 45 tonnes en pleine poire, mais ça va ! Ça pique un peu d'accord, mais ça va. Bonjour la crédibilité !
Ensuite le personnage de Béatrice, la belle sportive, très grande amoureuse d'Anthime, qui naturellement ne va pas le voir concourir le jour de la chute fatale de son bien-aimé, ne fait presque rien pour forcer le destin en venant lui remonter le moral, et finalement, se dépêche de partir loin de lui. Démarche tout à fait logique, son adoré voit sa vie de sportif se fracasser au sol, et elle, elle se barre, elle se casse loin de lui, pourtant elle est toujours folle d'amour pour lui, c'est écrit, ou alors elle est folle tout court !
Puis Joanna, la femme d'Anthime, celle qui l'aime depuis toujours, mais qui sait aussi depuis toujours qu'il n'y a aucune réciproque dans son sentiment amoureux. Toute sa vie elle vivra avec un homme qui ne la regarde pas, mais bon c'est comme ça. Elle aimera pour deux et puis c'est tout. Bah voyons !
Faut-il que je revienne sur les absences du roman, les oublis volontaires, le manque probant d'explication ? Est-ce au lecteur de boucher les trous, d'expliquer le pourquoi des comportements contradictoires et illogiques ? Faut bien qu'il bosse un peu, non ?
Et encore, d'où vient la colère d'Anthime ? S'il fait du sport pour faire plaisir aux autres, le jour où tout s'arrête, il devrait être fou de joie ! Bah non !
Sans oublier la fin, avec cet havre de paix, cet hébergement salvateur, trouvé de façon providentiel à l'étranger dans une maison partagée entre un père et sa fille, tout ceci sans une quasi once d'explication. Héberger un psychopathe ne leur pose aucun problème. Et puis que fait la police ? Interpol aurait-il été dissout ? Le jeune lynché a-t-il vraiment porté plainte ? A moins que ce ne soit un grand masochiste, allez savoir ! A-t-il conservé des séquelles ? Comment peut-être raisonnablement encore en vie ?
Dès lors, concevoir de l'empathie pour des personnages dont on ne comprend pas le raisonnement s'avère difficile. Leur logique illogique nous file entre les doigts, tel du sable fin. Naturellement, ce livre parle de la grande complexité des sentiments humains, de leur contradiction, de leur inappréhension, de leur irrationalité. Avec ces codes, j’augurais d'une fin plus cohérente, mais je me suis perdu dans les méandres de l'imagination aérienne et intangible de Cécile Coulon.
A mes yeux, seule l'écriture, mais quelle écriture sauve ce roman trop peu plausible, elle dégage une puissance peu compatible avec l'âge de son auteur : 24 ans à la sortie du livre. Où va-t-elle chercher cette acuité, cette sensitivité, cette émotivité ? Peut-être cache-t-elle quelques démons intérieurs ? Peut-être suis-je totalement passé à côté de ce roman, mais ceci n'est que mon modeste avis, et j'invite ici toute personne à m'apporter la contradiction.
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